352 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE Or, il semble, au contraire, que ces achats soient con-damnés à s’effectuer moins facilement. De telle façon que les productions artistiques non seulement ne pourraient pas franchir les frontières, mais que même les portes des musées leur seraient beaucoup plus difficilement ouvertes. Si nous nous faisons ici l’interprète de cette crainte, c’est que notre attention a été éveillée, au cours d’une récente tournée dans certains grands musées des dépar-tements, sur la situation que semblait créer, à l’égard des donations à ces musées, la loi fiscale du 26 juin de la présente année de grâce. Sans s’être donné le mot, plusieurs conservateurs de ces musées, et non des moindres, nous demandèrent si les donations que leurs établissements espéraient, ne seraient pas astreintes à acquitter les droits considérablement relevés, applicables de par cette’ loi, aux donations en général. Dans ces conditions, quelle serait la situation des collectionneurs, qui ne pouvant déjà plus vendre leurs trésors aux amateurs étrangers — ni même les échanger avec ceux-ci, car, remarquez-le, les défenses d’ex-portation rendent impossibles jusqu’aux simples échanges à l’amiable, — seraient en outre taxés, pour leurs libé-ralités, à un degré qui les empêcherait radicalement d’être libéraux ? Nous avouons que c’est en vain que nous avons cherché des éclaircissements sur cette très grave question, en l’absence de parlementaires capables de nous renseigner. (Mais est-il un de ces parlementaires ? ) Les textes de la loi, en attendant ces clartés nécessaires, sont singuliè-rement embrouillés, et ils peuvent dire tout ce que vou-dra leur faire dire l’administration des Finances. Voici les principaux. Comprenne qui pourra. « Art. 29. — Dans toute succession où le défunt ne laisse pas au moins quatre enfants vivants ou représen-tés, il est perçu, indépendamment des droits auxquels les mutations par décès de biens, meubles ou immeubles, sont assujetties, une taxe progressive et par tranches sur le capital net global de la succession. Cette taxe est fixée ainsi qu’il suit sans addition d’aucun décime. » On recourt au tableau et l’on voit qu’entre roo.000 fr. et 50.000 et au-dessus, les droits à acquitter selon le nombre d’enfants, ou leur absence, varient entre 5 fr. 5o et 39 pour cent ; quant à la liquidation, et quant aux droits de mutation par décès, ils sont fixés, « entre per-sonnes non parentes », ce qu’est le cas des particuliers vis-à-vis de l’État, à 34 pour cent à partir de ioo.000 fr. et pouvant aller, à partir de 5 millions, et au delà, de 51 à 59 pour cent. Quant aux droits sur les donations, de biens meubles ou immeubles, ils sont « entre personnes non parentes » de quarante pour cent. L’article 33 exonère-t-il les donations envers l’État pour cause d’utilité ou de beauté publiques ? Il faut croire que cet article est bien obscur pour avoir éveillé l’attention de nos amis, mieux au courant que nous-mêmes de ces sortes d’affaires. Il est ainsi conçu : « Les parts nettes ne dépassant pas Io.000 fr. recueillies dans les successions dont le montant total n’excède pas 25.000 fr., ainsi que les dons et legs laits aux départements, communes et établissements publics ou d’utilité publique, continueront, conformément à l’article, etc., à être soumis en ce qui concerne les droits de mutation par décès et les droits de donation, aux tarifs édictés par les droits antérieurs à ladite loi, etc. » Ainsi, quoi qu’il en soit, et quoique signifie cette rédaction embrouillée, qui semble concerner toute dona-tion supérieure à ro.000 fr., dans les successions au dessous de 25.000 — ce qui est absolument négligeable en matière de donation artistique, — les générosités des particuliers envers l’État seront ou continueront d’être frappées de droits de mutations, timbres, et autres chi-canes barbares et arbitraires. — Je veux vous offrir un Rubens admirable. — Com-mencez par donner de l’argent au ministre des Finances et je l’accepterai peut-être. » Tel serait le langage que nos musées seraient désormais forcés de tenir. Ce langage serait d’une rare élégance ! Il est fort possible que nous et nos amis nous soyons fait une idée inexacte de la lettre et de l’esprit de la loi. Mais, en matière de fisc, la méfiance est toujours le commencement de la vérité. Au moment où nos musées des départements martyrisés et pillés pourraient espérer se .régénérer par les donations de toute sorte, argent ou oeuvres d’art, on mettrait les donateurs dans l’impos-sibilité de réaliser leurs nobles intentions, sans se dé-pouiller eux-mêmes, ou sans dépouiller leurs héritiers, de cet argent, nécessaire sans doute à l’État, mais néces-saire aussi aux citoyens qui le composent. Ne pouvant les vendre au dehors, ne pouvant les donner en France même, les possesseurs d’ceuvres d’art n’auront plus que la ressource d’en faire pour eux ou leurs enfants, le charbon manquant, un combustible de qualité douteuse. Il y a là quelque chose de bizarre, d’inexpliqué tout au moins, et si notre interprétation n’est pas erronée, ce que nous souhaiterions de grand cœur, il est néces-saire qu’à la rentrée nos législateurs soient mis en de-meure, par ceux des leurs qui s’intéressent encore aux arts, de faire toute lumière. Et pendant qu’ils y seront, s’ils ne veulent pas que subsiste un malentendu fatal dans l’esprit des donateurs intentionnels, et que les sources de libéralité envers les musées ne soient pas pour longtemps taries, il est indispensable qu’une loi spéciale soit édictée, qui ne serait ni longue ni obscure : « Article unique. — Toute donation d’oeuvres d’art, de sommes d’argent, de terrain ou d’immeubles aux musées et établissements d’enseignement public, est absolument libre et exempte de tous droits, sous ré-serve d’acceptation de ce don par les établissements. » Tout autre texte sera un désastre pour l’art. ARSENE ALEXANDRE. 1 FIND ART DOC