256 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE piscence rachetée. Dans sa douleur, la dolente amante du Sauveur laisse échapper la boîte de parfums qu’elle venait répandre, pour s’abandonner à l’adoration que lui inspire l’immensité du divin sacrifice. Malgré l’importance que la place de cette figure lui assigne, il y a dans son 11 ymage N quelque chose qui, tout en attirant, dérange. On hésite, on tremble, on craint que l’intrusion d’une main étrangère ne lui ait donné cet air fâ-cheusement moderne, froid et vieillot qui déçoit. Habituelle-ment les visages compatissants du xve siècle ont plus de profondeur d’expres-sion, de naïve dou-ceur, de charme pé-nétrant, de senti-ment vrai, de fraîche venue (r). Après l’impression que détermine, en un endroit si bien fait pour l’accomplir, cet ensemble doulou-reux, on admire l’oeuvre en elle-mème, une des plus belles de l’art français en cette région si long-temps flamanisée par ta cour aristocratique des Ducs de Bour-gogne. Elle s’appa-rente, d’une part, à l’école de Claux-Sluter, sans avoir les archaismes du Puits de Moise, et d’autre part aux influences italiennes ou avignonaises, qui avaient pu s’infiltrer jusqu’en cette région, déjà. C’est un impo-sant retour à la simplicité, à la concentration et au pa-thétique sans apparat. Sous un réalisme respectueux des formes, c’est une oeuvre de pur idéal, où le mystère et la beauté s’unissent dans l’ampleur de la maîtrise. Les auteurs, nous disent les archives de l’hôpital de Marguerite de Bourgogne, en furent Jehan Michiel et Jorge de la Sonète. Ils exécutèrent au compte de Lancelot de Buronfosse, marchand de Tonnerre, . ce moult riche, notable et devoult sanctuaire ; c’est assa-voir un sainct Sépulchre, lequel est assis et apposé en une chapelle… et lequel a cousté grand somme de deniers audict Lancelot » (r). Je n’entrerai pas dans le curieux détail des comptes conservés aux archives de l’hôpital bourguignon, qui démontrent, que outre l’argent sonnant , les sculpteurs de ce chef-d’oeuvre furent payés en blé, en vin, et divers pro-duits de nécessité ; je me contenterai de parler de leur ou-vrage, laissant de côté toute anecdote. Ce « Sépulchreu ayant deux auteurs, j’y remarque deux manières : l’une en-core réaliste, précise, sentimentale et go-thique ; l’autre vo-lontaire , simplifiée, froide et voisine de ce que deviendra l’art dans l’avenir. Pour-tant je pense que ce tombeau, tel qu’il se présente en son tout, est bien le produitdes deux artistes qui oeu-vraient en 1454. Le groupe total se com-pose de huit figures ; et il est flagrant *que chacun des deux au-teurs en fit quatre, après que le plan de l’ensemble eut été arrêté entre eux. Une maîtrise plus grande s’impose, en effet, dans celle de Nicodème tenant les pieds du mort, dans celles des deux Saintes-Femmes et dans le corps du Christ. Alors que Joseph d’Arimathie, la Vierge, saint Jean, sainte Madeleine et la tête de Jésus sont d’un ca-ractère d’exécution non sans grandeur, mais d’un parti pris plus accusé et d’une sensibilité moins pénétrante : la recherche y remplace le naturel, le vouloir y refroidit la vérité. Nul doute, donc, que les deux « Ymageurs » ne se soient partagés la besogne et que l’un d’eux fut supé-CLICHÉ PRUNIER. EN HAUT: AVANT LA RETOUCHE. — EN LIAS: APRÈS LA RETOUCHE. (1) Voir le N. B. à la fin de cette étude. (I) • Documents des Archives de l’Hôpital de Tonnerre publiés par Ni. Bernard Prost, Gaulle des Beaux-Arts (juin 1893) et par M. Camille Dormois. (1861). FIND ART, DOC