246 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE perfection. Aussi se variait-il dans ses modes d’exprimer et, dans son travail au crayon, parvenait-il à la nuance. De l’énergie, de la vigueur il passait sans effort apparent à la caresse, à la sérénité ; de l’altier à l’alerte, de l’im-périeux à l’avenant. A des dessins comme les Roses de Hollande, les Coquelicots, les _Pivoines, Cloche blanche des haies, Coupe remplie de raisins, le grand Ingres eût donné son suffrage. Travailleur de belle en-vergure et à règle sévère, toujours avide de pénétrer plus avant dans la con-naissance de la forme, Berjon tint à honneur de produire jusqu’à ses der-niers moments et jamais ne cessa de se ‘montrer exigeant envers lui-même. Il recommandait de dessi-ner comme Bossuet exhor-tait à vivre saintement, en méprisant la « baga-telle s. Son expérience lui avait appris que nul ne se passe impunément de dessiner, il savait mieux que personne alors ce que signifie ce terme. Dessiner ! non pas, certes, multiplier sans intelligente recherche des tracés au crayon sur une feuille dé papier, mais édifier des organismes viables, interpréter, sans les dénaturer, des corps, des reliefs animés, s’élever à l’har-monie sans sortir de la vraisemblance. Entre les mains d’un maître, le dessin révèle souvent ce qu’aucune peinture ne saurait matérialiser : des finesses presque insaisissables, maintes fugacités, tant d’actes spontanés que l’on fige à les vouloir enclore en d’épais modelés. Bien plus que la peinture il est évocateur et quelles sensations de vie ne procure-t-il pas ! On comprend qu’il soit ho-noré par tous les véritables ama-teurs, ceux dont la clairvoyance égale le goût. La pâte oléagineuse qui s’étend sur la toile entraîne, dans certains cas, à des lourdeurs contre lesquelles le plus habile demeure à peu près impuissant. Les réactions des produits chi-miques qui constituent les tons des tubes ont parfois des effets désastreux et que de teintes, heureusement unies, le temps n’a-t-il pas alté-rées ? En somme, ce qui captive le plus ne peut se fixer sur un tableau, surtout pour plusieurs siècles. Le dessin, au contraire, reste indéfiniment comme l’a _ tracé son auteur ; même si s’atténue le noir ou la sanguine de ses contours, il n’en conserve pas moins sa fraîcheur ou sa robus-tesse. Aussi les bons des-sins ont-ils à la fois une valeur de poème parfait et une saveur d’étude inachevée. Berjon est un artiste profondément lyonnais, nul, avant lui, ne l’avait été à ce point, aucun de-puis ne le fût davantage. Tous les caractères régio-naux se reconnaissent dans son oeuvre : elle décèle un esprit infiniment res-pectueux du vrai, très attentif à le manifester sans inadvertance ni trahison, même légère ; un raisonneur convaincu que, sans base solide, sans principes éprouvés, rien de sérieux ne s’édifie ; un scrutateur diligent, avisé, qui n’entend pas aller à l’aventure ; un harmoniste résolu à ne s’écarter en rien des voies normales. Artiste intègre, il avait la plus haute notion de ses devoirs d’état, un religieux respect de son art. Dans la peinture, il apparaît comme un grand prosateur, ana-logue à ces écrivains qui, sans faire de vers, arrivent à l’image poétique. Ses oeuvres ne peuvent être vraiment comprises et goûtées que par des initiés ; très peu d’entre elles enchantent, mais toutes regorgent d’enseignements, et quelle magistrale tenue, quelle dignité ! La logique, la pondé-ration, la droiture inflexible y triomphent ; toujours graves, sou-vent austères, quelquefois rigo-ristes, comme émanant d’un Caton, sans majesté ni séduction, mais superbes de volonté réfléchie, elles imposent le respect par leurs vertus. ALPHONSE GERMAIN FLEURS. -(MUSÉE BISTORIQ DESSIN. US DES TISSUS). RAISINS BLANCS ET NOIRS DANS UNE COUPE. (RUSÉS DE LYON).