UN PEINTRE PROVINCIAL ANTOINE BERJON pARMI les peintres nés dans la seconde moitié du xvme siècle, Antoine Berjon, tout en conser-vant l’air de son époque, se distingue par une physionomie particulière. C’est un artiste dont les oeuvres honorent la France entière, mais c’est surtout un artiste éminemment provincial au meilleur sens du mot. Né dans un faubourg d2 Lyon (le 17 mai 1754, il apprit dans cette ville les éléments de son métier de peintre et Fein preinte locale qu’il reçut ne s’effaça jamais en lui. Dans la grande famille des artistes, il appartient à la catégorie de ceux dont les contrastes étonnent : lourd et vulgaire dans la vie, c’était, dans son domaine, un insigne intuitif ; faubourien sans culture, esprit grossier, il devint assez vite un interprète exquis des créations les plus gracieuses, les fleurs ; égoïste jusqu’à l’ingratitude dans ses rapports sociaux, il fit preuve, constamment, dans la réalisation de son art, d’une rare conscience et d’un réel désintéressement ; timide dans le monde, il lutta vaillam-ment contre les pires obstacles. S’il avait peu reçu comme homme, il était amplement doué comme peintre. Ses commencements furent des plus difficiles. Sa pauvre situation de dessinateur de fabrique, il la perd quand les violences de la Terreur déterminent la ferme-ture des maisons de soierie. Il se rend alors à Paris et, après avoir traversé une phase d’effrayante détresse, il finit, grâce à d’actifs dévouements, à vivoter de ses pinceaux. Il exécute des portraits de tout genre, dont beaucoup en miniature, des fleurs, des natures mortes et de menus décors de tabatières. Que valaient ces ouvrages ? On ne sait au juste, presque tous ayant disparu. On ne peut s’en faire une idée que par le Cadeau (1797), le Portrait de Mue Bailly, fille de l’an-cien maire de Paris, les Merveilleuses du Musée de Lyon et deux dizaines environ d’ouvrages secondaires. C’est quelque chose ; mais, pour suivre comme il convient le développement de son talent, il faudrait retrouver une centaine de tableaux et de dessins, car, pendant les seize ans qu’il passe dans la capitale, ce bûcheur intrépide, toujours tourmenté du désir de faire mieux, achève son initiation -• en ne cessant de progresser. Entre le Cadeau et les Fruits dans une coupe d’albiitre(18io ou ix, Musée de Lyon), que d’étapes parcourues ! Et il n’en garde pas moins, ce dont on doit se réjouir, son origina-lité provinciale. Rentré à Lyon en 181o, Berjon est bientôt chargé d’ensei-gner, à l’école des Beaux-Arts, l’interprétation de la fleur. Mal-heureusement, son caractère acariâtre, ombrageux et morose s’exaspérait à tout propos. Comme tous ceux qui ont beaucoup souffert injustement, il était devenu sombre, farouche et en arrivait même au délire de la persécution. Aussi, en 1823, prend-il le parti de fuir la so-ciété. Il se retire dans son atelier, où ses élèves, toutefois, continuent de lui demander des conseils, et son existence s’achève dans une retraite d’ermite de l’art. Les peintres lyonnais ont toujours eu, du moins jus-qu’à la fin du xixe siècle, la vision précise, analytique, documentaire, des Néerlandais. Certains d’entre eux furent même d’impitoyables micrographes et, dans leur désir de serrer la réalité de très près, devinrent d’affli-geants traducteurs. Berjon ne répudia jamais l’esthé-tique de ses compatriotes ; comme eux, il s’astreignait aux représentations fidèles jusqu’à la méticulosité, aux images scrupuleusement ponctuées, mais sa valeur le sauvegardait de tout asservissement, il était trop bien inspiré pour ne pas s’élever au-dessus d’une méthode PORTRAIT D’ANTOINE BERJON. PASTEL PAR LUI-MÊME. (MUSÉE DE LYON). FIND ART DOC