J. DOMINIQUE TIEPOLO (?) – LE PARLOIR DES NONNES. (MUSÉE CORSER. VENISE). LES PORTRAITISTES VÉNITIENS AU XVIII » SIÈCLE CE souffle tiède qui frappe au visage dès qu’on se trouve à Venise, cette sorte d’incomparable fadeur de l’atmosphère, cette moiteur si particu-lière et si douce de l’air sur la lagune, l’ambiance mysté-rieuse des soirs, la fraîcheur du matin, le chatoiement des couleurs à midi, nous les retrouvons sur les por-traits du Vénitien et de la Vénitienne. La chair est mate, mais colorée; ce n’est pas le lait de ces aristocratiques beautés anglaises que Van Dyck a figurées, comme Béatrix de Cuzance, avec tant d’élé-gance et de spleen, mais une sorte de brume légère, cette vapeur nacrée qui flotte au matin sur la ville et que finit par réduire la pesée du soleil. Le portraitiste vénitien, l’artiste qui nous a fait péné-trer dans l’intimité de la vie de ses contemporains et nous a laissé le reflet de leur passage ici-bas, ne « tra-vaillait » pas dans la bourgeoisie. Il se réserve pour la société, uniquement. Nous voyons quelquefois, par les meilleurs maîtres anglais et français du xviie et du xvme siècle, quelque Madame Bouchu ou quelque opu-lente Mrs de la Cité. Ni Largillière, ni sir Thomas Lawrence, ne les dédaignent. Il semble, au contraire, que Rosalba Cardera, par exemple, se déshonorerait en sortant, même exceptionnellement, du cercle où elle fut admise. C’est que le clan des élégants à Venise est plus restreint qu’à Paris ou à Londres et que les lois mêmes de cette République des marchands guerriers sont plus intraitables sur le respect des privilèges, le maintien d’une inégalité constante et d’oppositions violentes, que parmi toute autre aristocratie d’Europe. Pour remédier à l’ennui de vivre dans de si étroites limites, le Vénitien du xvitte siècle a créé le Carnaval et adopté le loup et le domino. Le Carnaval finit par durer des premières gelées de novembre aux dernières semaines du Carême. Le domino est la tenue habituelle de tout Vénitien d’un peu de qualité. Grâce à lui, ces distances qui ne se peuvent abolir à visage découvert, s’éva-nouissent lorsque les formes de l’individu se perdent sous les longs plis du manteau de soie et que le masque à barbe de dentelle ne laisse plus rien deviner d’un visage que le brillant de jais du regard. Rosalba arrache à ses belles mondaines leur incognito