LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE 31 Pour elle, ont été créés les beaux meubles, payés fort cher, qui ont marqué les styles des diverses époques. Examinons de plus près les meubles de Ruhlmann. Tous sont faits de bois pré-cieux : amboine, amarante, ébène, soi-gneusement marquetés, plaqués (l’ivoire ou de métal ; les tiroirs jouent à merveille, les portes ferment avec la plus exacte précision. C’est déjà là une satis-faction pour le regard ou la main qui les caresse. Beaucoup (l’entre eux sont d’une architecture solidement classique et d’une construction rationnel-lement étudiée (témoin les meu-bles que nous reproduisons ici). Ils peuvent intervenir — et nous leur décernons là un éloge — dans n’importe quel ensemble moderne sans qu’il soit nécessaire pour les mettre en valeur de créer un dé-cor approprié. On pourrait encore dire de Ruhlmann que sa manière se reconnaît vite et que les meu-bles qui sortent de chez lui portent en eux un caractère d’originalité qui rend inutile une signature. A tous ceux qui souhaiteraient se meubler en moderne, nous don-nerions le conseil d’aller visiter l’hôtel de la rue de Lisbonne, non sans leur soumettre au préalable une- impression qui pour nous se dégage invinciblement du lieu. Sans doute, la sobriété des lignes est-elle une qualité ; mais il ne ferait pas bon vivre dans certaine Chambre à coucher, de célèbre mémoire, exposée par Ruhlmann aux Arts Décoratifs en automne dernier. A force (le simplifier, on court grand risque d’engendrer la sécheresse et bientôt la tristesse. Ajoutons que le noir, dont on peut parfois tirer des effets si heu-reux, semble jouer un rôle tyran-nique et que de plus les combi-naisons de couleurs des étoffes, souvent très belles (tentures, ri-deaux, couvertures de lits ou de sièges), composent un feu d’ar-tifice tapageur et cependant im-puissant à ramener dans l’ensemble un peu de gaieté. Dans ce parti pris de bannir l’aimable beaucoup ont voulu voir l’influence du funèbre art mu-nichois. Ruhlmann se défend de la contagion. Il reconnaît seulement qu’il y a eu chez nous (les ren-contres, des courants parallèles. En Bavière, à Berlin, comme ici, on s’est rangé à la même ligne de départ, on a tenté de réaliser un idéal semblable, la réaction contre la mièvrerie compliquée et l’excès décoratif. Ce programme commun devrait conduire, par des voies bientôt divergentes, à des résultats opposés, ceci parce que nous avons du goût et qu’ eux n’en ont pas. laque (l’une exceptionnelle qualité : E. Degaine. I.a place nous manque ici pour parler (le son oeuvre comme il conviendrait, mais elle fera bientôt l’objet d’un article plus détaillé de cette revue. Degaine est un jeune qui, croyons-nous, se livre pour la première fois au public. Il a voulu attendre pour se manifester (l’être en pleine possession de son procédé. tonalités chaudes et profondes que les laqueurs de la grande époque ont rare-ment employées, des panneaux à fond bleu turquoise ou blanc ivoire ou encore à grand décor de feuillage sur fond d’or dont il serait bien facile de tirer le plus merveilleux parti dans la décoration murale ou l’ornementation de paravents. Degaine n’est pas seulement un tech-nicien et un homme (le goût, c’est encore un chercheur qui estime son but incomplètement atteint lors-qu’il a réalisé au moyen de laque un motif, si joli soit-il, qui aurait aussi bien pu être traduit par la peinture à l’huile. Le but qu’il vise passionnément, c’est de dé-laisser peu à peu les sujets faciles et de s’en tenir aux seuls décors qui s’adaptent le mieux au pro-cédé spécial du laque. En un mot, (le ne plus faire seulement des tableaux en laque, mais bien des laques. Il a exécuté selon ces prin-cipes une série de figures de style archaïque, d’un dessin simplifié, dont les colorations assourdies se maintiennent dans les bruns et les rouges profonds, rehaussés seulement (l’un peu d’ôr. Ce sont des oeuvres d’une absolue origi-nalité et d’un beau style, quoique (l’une séduction moins immédiate. Nous verrons par la suite com-ment il tirera parti (le ce filon pour réaliser (les compositions plus importantes. Dès maintenant, cons-tatons que cet artiste doit être suivi attentivement. Nous serions très surpris s’il ne faisait pas bien-tôt parler de lui. At Avant de quitter la galerie De-vambez, il nous faut dire un mot d’un artiste qui y expose (les panneaux (le E. DEGAINE. – LAQUES. C’est d’abord un peintre et un excellent peintre, ainsi que l’attestent plusieurs natures mortes aperçues chez Devambez. C’est, de plus, le plus, habile technicien en matière de laque. Il a acquis cette suprême maîtrise d’exécution en s’assi-milant, par des copies studieuses et réfléchies, tous les secréts des maîtres chinois. Nous avons vu de luidesmorceaux directement inspirés de l’Extrême-Orient, mais qui en diffèrent cependant par des Ji Quittons la galerie De-vambez pour nous,arrêter, à quel-ques portes de là, rue d’Anjou, chez André Groult. C’est un des centres où s’élabore le meilleur style moderne français. On y trou-vera tous les éléments d’ameu-blement, pourvu que l’on souhaite vivre dans un intérieur amusant, pittoresque, et, pourrait-on dire, bon enfant Aux murs, des ten-tures claires; aux fenêtres des tulles ingénieux; ‘sur les meubles de charmantes verreries (le couleurs ou des poteries signées André Groult; sur les divans ou sur les lampes de chatoyantes soieries. Il nous a paru qu’on souhaitait chez Groult, d’une part renouer les traditions du style ‘de la lin du xvitie siècle, et de l’autre aborder franchement les méthodes d’ameublement plus modernes. Les deux reproductions que nous donnons confir-meront peut-étre cette impression. (La salle à manger, exécutée dans l’appar-tement même de M. Groult, est une des pièces les plus réussies que nous ayons encore rencontrées, par l’originalité du décor et la beauté de l’exécution.) Ajoutons que le mobilier de Groult s’accommode parfaitement de l’adjonc-tion de meubles de diverses provenances. FIND ART DOCK