30 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE ginal et personnel, représentatif d’une époque, conforme aux goûts et au genre d’existence de celui qui, l’ayant fait exé-cuter, doit trouver à y vivre une satis-faction d’amour-propre bien gagnée. Et puis, avouons-le sans détours, il y a peut-être aussi une autre raison secrète à la fidélité aux meubles anciens. On sait trop, d’une part, que, bien achetés, il n’en coûtera rien de se séparer d’eux —au contraire ; que d’autre part, les meubles modernes ne se vendent pas encore à l’Hôtel Drouot, ou que leur cote y est mal établie. Nous demeurons cependant convaincus que les beaux meubles modernes — ceux-là seuls, bien entendu, qui valent par une construction bien étudiée, une exé-cution soignée et la qualité de leur matière — s’ils passaient en vente, réaliseraient au moins le prix qu’ils ont coûté. Les beaux meubles anciens aussi ont été payés très cher au moment où ils sortaient (le chez leurs fabricants. Mais abandonnons ces aperçus généraux pour en arriver à un exa-men plus pratique. L’exposition Devambez, qui groupe tant de manifestations inté-ressantes d’art décoratif, nous ser-vira encore de point de départ. Avant de poursuivre notre enquête, arrêtons-nous dans la première salle de cette galerie où nous retiendront les admirables études du lieute-nant Jean Droit. C’est une des plus émouvantes expositions de croquis de guerre auxquelles nous ayons été conviés. L’artiste a vu de près ce qu’il raconte, puisqu’il n’a pas quitté, depuis 1954, son régiment d’infanterie. Avec une étonnante sûreté de technique, il reproduit des types de soldats alliés, géants solides et résolus, de prisonniers allemands, revenus à tous points de vue de la « guerre fraiche et joyeuse «, types qui formeraient l’album des deux races. Il a traduit sincèrement et passionnément des spectacles quotidiens, des épisodes de combats, des scènes de la vie dou-loureuse à laquelle sont astreints les défenseurs de la tranchée, qu’ils soient aux créneaux ou, parmi des ruines, dans ce confort, combien relatif, où leur est donnée l’illusion du repos. Et maintenant, rentrons à l’expo-sition d’art décoratif. Dans une pièce se trouvent réunis un certain nombre de meubles et de bibelots créés par Louis Süe, Vera, André Mare, Jaulmes, Desvallières fils, autant d’ar-tistes groupés dans une communauté d’aspirations et d’efforts. Un des représentants de ce groupe nous a confié l’état (l’esprit qui règne parmi eux et quelques réflexions sur l’art contemporain que beaucoup feraient sagement de méditer. Pour lui, c’est l’architecture qui est l’assise et le fon-dement du style nouveau. Il y a aujour-d’hui un plus grand nombre de bons peintres et de bons sculpteurs que de vé-ritables architectes. Le meuble moderne souffre du méme mal que l’architectuoe ; à sa construction il semble encore man-quer l’appui des règles esthétiques, bases nécessaires d’un style. S’aviserait-on de jouer à un jeu dont on ignorerait les règles ? C’est par une semblable incon-séquence que l’on parvient à produire des meubles partiellement réussis, mais dont l’ensemble manque de corps, des sièges parfois plaisants, mais dont le charme est éphémère parce qu’ils ne sont pas solidement architectur&- I )’ailleurs, conforme un motif de fleurs sculptées et dorées. Vers le bas, une demi-corbeille, également dorée, se reflète ingénieuse-ment dans le miroir du fond. Nous repro-duisons encore, de Vera, une jolie com-mode en laque noir à décor d’or, placée (levant un panneau décoratif du même artiste ; meuble et décoration sont d’ins-piration demi-classique, tout en demeu-rant très moderne et parfaitement ori-ginale. Un autre cliché montre quelques re-liures d’André Mare ; il emploie pour revêtir ses volumes un par-chemin blanc sur lequel se déta-chent des motifs où la hardiesse des tons s’allie à un admirable senti-ment décoratif. Nous aurons, à la suite d’une enquête spéciale, à parler de l’oeuvre de Jaulmes, des reliures de Mme Jaulmes, des tra-vaux de fer forgé de M. Desval-hères. Dès maintenant, bornons-nous à constater que si tout ne nous plaît pas également dans les productions du groupe précité, nombre d’oeuvres sont à retenir qui pourraient faire l’objet d’un excel-lent choix. C’est un centre artis-tique où les amateurs en quête de moderne trouveront de précieux conseils, où rayonne un goût très sûr et qui plus est, bien français. VÉRA. – COMMODE DE LAQUE ET PANNEAU DÉCORATIF. ajoutait notre interlocuteur, le style moderne doit avant tout rester rationnel. culte des traditions doit être précieu-sement conservé ; c’est en elles que nous devons puiser l’inspiration et la règle, alors que les lignes heurtées, les tons tranchants, les hardiesses voulues n’ont jamais produit qu’une impression de convention et de rapide désuétude. Nous souscrivons entièrement à ces principes que nous avons vus souvent et heureusement appliqués dans l’exécu-tion de meubles et (le bibelots signés par les artistes du groupe en question. On trouvera ici la reproduction d’une étagère de Louis Süe en bois foncé que jg Il a été question, dans une précédente chronique, de la table à coiffer de Ruhlmann, également exposée chez Devambez. L’impres-sion agréable qu’elle nous produisit nous incita à faire une visite rue de Lisbonne. Nous n’avons pas eu l’oc-casion de rencontrer M. Ruhlmann lui-méme, mais M. Stéfany, son représentant, nous a suffisamment documenté sur les doctrines et les méthodes de la maison. On est, dès l’entrée, frappé de la qualité d’exécution des objets exposés. C’est en effet, dans la mai-son, une des premières préoccu-pations de fabriquer des meubles de luxe et le principe de travailler plutôt pour une élite que pour la classe moyenne se défend d’ailleurs assez bien. Le style moderne s’im-plantera plus efficacement dans nos habitudes si le ton et l’impulsion sont donnés par des amateurs for-tunés. La masse suivra d’elle-mê-me le mouvement, tout comme elle suit infailliblement les modes lancées par les grandes maisons (le couture et, en général, toutes les manifestations quelconques du luxe. « Nous devons, dit M. Ruhlmann, souhaiter intéresser d’abord le client riche, celui qui veut ne posséder que des meu-bles qu’il ne rencontrera pas chez les gens moins riches que lui ; des meubles qui ne peuvent pas se démarquer facilement. Il proteste quand on lui dit que sa théorie, opposée, semble-t-il, à bien des idées reçués, est entachée d’aristocratie ; mais on est bien forcé de convenir avec lui que c’est en tous temps une élite fortunée qui a pris la tète de l’évolution artistique, FIND ART DOC