26 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE plus grave défaut des décorateurs modernes d’appar-tements est qu’ils s’abandonnent à une fantaisie pure-ment individuelle, ne se souriant pas plus des besoins réels que notre époque fait naître que des grandes lignes de la tradition qu’on ne peut oublier sous peine de faire oeuvre non viable. Elle s’est rappelée que l’art de l’ameublement, comme l’art de l’architecture, doit réaliser la synthèse de deux espèces d’exigences très différentes : les exigences esthétiques et les exigences pratiques d’une certaine vie sociale. La satisfaction des premières doit être équi-librée, disciplinée par la satisfaction des secondes. Ce compromis crée un genre de beauté particulier, qui est précisément celui qui nous ravit quand nous contem-plons les ameublements français des grandes époques. Au point de vue purement esthétique, Mlle Cabanel a voulu réagir contre le dé-sordre de bien des créations modernes, et elle a fait appel aux lignes simples qui nous viennent de Grèce. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ait donné dans un hellénisme aussi stérile que le culte du xvIIIe siècle ; tout au con-traire, elle n’adniet ces lignes pures que dans la mesure où elles mettent en valeur des harmonies inventées par elle, où elles réalisent la simplicité de proportions et l’unité de toute oeuvre d’art vraiment belle. D’autre part, Mue Cabanel a renoncé — et l’on ne saurait assez l’en féliciter — à ces tons violents, heurtés, qui ne compensaient la fatigue et l’énervement qu’ils causaient que par une originalité dont on a bientôt fait le tour. Elle leur préfère les couleurs fraîches, harmonieusement juxtaposées, qui donnent à tout en l’éveillant, une impression de repos. Telle pièce, boudoir ou bibliothèque, rappellera par des lignes le style Directoire, mais sera conçue d’une manière si originale que toute idée de reconstitution sera spontanément écartée. Bien plus, il s’en dégagera une atmosphère de qualité unique ; je veux dire qu’on aura l’impression très nette que cet arrangement cons-titue un certain ensemble habilement organisé et tel que l’effet qu’il produit ne pourrait être répété ailleurs. Et la tonalité de cette pièce, qui en est comme le parfum, est assez accusée polir influer sur notre plaisir sans toutefois peser obstinément et maladroitement sur notre attention. Telle autre pièce, une salle à manger, évoque l’art pompéien. Mais — et c’est ici qu’apparaît l’origi-nalité de Mue Cabanel — si le décorateur s’est souvenu de Pompéi juste assez pour réaliser certains effets charmants et pour introduire dans la salle un peu de l’espace antique, il n’a jamais perdu de vue qu’il meu-blait et décorait une maison moderne, et a réussi le tour de force de nous le rappeler également. ni moins digne d’atten-tion et de louange est le soin qu’apporte Mue Cabanel à ne jamais oublier— comme nous l’avons dit plus haut — qu’elle travaille pour une certaine époque et certaines conditions d’existence. Ce souci est le contrepoids qui l’empêche de s’abandonner à une fantaisie dangereuse. Elle a conscience de la diversité des occupations modernes, et par conséquent des caractères et des besoins. Elle n’admet pas qu’on puisse composer in abstracto une série d’ameublements interchangeables : elle veut connaître les personnes dont elle est chargée de composer le cadre familier. C’est ainsi qu’un homme d’affaires n’aura pas un bureau copié sur le modèle de celui d’un écrivain. Remarquons en passant que les bienfaits de la méthode de Mile Cabanel se feront d’autant plus vivement sentir que nous avons un vif désir de voir l’harmonie et la beauté dans toutes les demeures, et que nous sommes particulièrement irrités par le mariage, hélas ! trop fréquent, de la richesse et du mauvais goût. Mais comment, d’autre part, en vouloir à l’honnête business man, quand il refuse énergique-ment de se meubler selon le goût moderne, repoussant les couleurs qui font mal à la tête et réclamant des sièges où l’on puisse s’asseoir ? Le résultat de ces colères compréhensibles, c’est que l’épouse dudit business man obtient la permission d’installer à sa guise son appartement privé, en sorte que la maison se trouve divisée en deux parties, dont l’une est trop bien arrangée, tandis que l’autre ne l’est pas assez. Grâce aux adaptations de Mlle Cabanel, qui ne perd poin F. CABANEL ET E. DURU.— TABLE A THÉ LAQUE ROUGE ET NOIRE. FIND ART, DOC