24 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE privilège d’ètre traité de (, cher maitre » par un tas de raseurs! » Un hasard m’a permis tout récemment de rencontrer le pèintre Laporte, l’ami de jeunesse’ de ‘Renoir. • Mme’ Ellen André, l’actrice. bien connue, quia fourni à Renoir l’occasion de quelques-unes• de ses ‘plus belles études, m’avait dit : Venez donc déjeuner un jour chez moi, à Ville-d’AVray ; on «mettra la table dehors sous les rosiers, et rions. parlerons •de Renoir. J’avais accepté avec le plus grand plaisir. En arrivant chez Ellen An-ciré, dans ce délicieux jardin où tout pousse comme il veut, l■ Mon Paradou », aime-t-elle à dire, on me présenta, mais sans que j’enten-disse son nom, à un vieillard bien conservé, avec toutes les allures traditionnelles de l’artiste. Il avait un chapeau mou à très larges bords, une cape romantique, un Col rabattu et une belle cravate lavallière. Une jeune nièce l’accom- pagnait. A. tablé, un des invités, Henri Dumont, le peintre délicat «des, liserons *et des roses, vanta les Renoir de l’EXPosition• clè la Triennale qui venait d’être ouverte. Vous parlez de Renoir, l’impressionniste ? ques-tionna le vieux monsieur. Je l’ai beaucoup connu dans ma jeunesse, nous étions intimes ; si vous le ren-•ontrez, parlez-lui de son ami Laporte, il se souviendra sûrement de moi ! En ce temps-là, lui, peignait des stores, et moi, .j’étais forcé de gagner mon pain à peindre des vitraux d’église ; un pain bien amer, si l’on songe que j’étais, dès ce moment, un libre penseur convaincu. — Vous avez des Renoir me hasardai-je à lui demander ? – M. LAPORTE. – Oui, j’ai une rose qu’il m’a donnée jadis, et, en échange, je lui ai fait présent d’un mouton peint au bitume, une étude d’après nature, dont j’étais assez satisfait. Il faut vous dire, poursuivit le bon vieil-lard; que j’ai perdu Rehoir de vue d’assez bonne heure la vie, les femmes nous ont séparés•! Moi. — Je pensais que Renoir ne voyait dans les femmes que des prétextes à tableaux ? M. LAPORTE, vivement. — Mais, moi, je ne les regardais pas seulement comme dés motifs à peindre… Et reprenant : — Si Renoir dessine ainsi, car le dessin est toujours son point faible, n’est-ce pas ? eh ! bien, ce n’est pas faute, pour moi, de l’avoir exhorté à mieux faire. Il faut vous dire que j’étais alors, et je le suis encore d’ailleurs, très féru de David. ■, En voilà Un qui ne plaisante pas avec le dessin ! Si Renoir m’avait écouté, et avait pu joindre le dessin à la couleur, qui sait s’il ne serait pas devenu un autre David, comme l’est devenu mon autre •ami, Lecomie du Nouy. Mais quand je disais à Renoir : Il faut se forcer u à dessiner », savez-vous ce qu’il me répondait : I( – Je fais comme un petit bouchon tombé dans l’eau et emporté par le courant ; je me laisse aller à n peindre comme cela me vient. .» Moi. — En tout cas, Renoir me semble avoir assez bien réussi ? M. Laporte crut que je voulais parler des prix qu’attei-gnent les Renoir. — Oui, dit-il, si l’on prend pour de l’argent comptant tous ces prix de l’Hôtel des Ventes ! Mais moi qui suis du bâtiment, je sais trop de quoi il retourne !… Je viens même d’apprendre que, pour mieux tenir les artistes en main, certains marchands vont jusqu’à les obliger à contracter des dettes… Oui, monsieur ! ‘ AMBROISE VOLLARD FIND ART, DOC