LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE 23 une figure de Raphaël. Ce fut également cette année-là (1863) que je connus Cézanne. J’avais alors aux Bati-gnolles, rue de la Condamine, un petit atelier que je partageais avec Bazille. Celui-ci arriva, un jour, accom-pagné de deux jeunes gens qu’il présenta en ces termes : ■■ — Je vous amène deux fameuses recrues. « C’étaient Cézanne et Pissarro. « L’année suivante (1864), je fus moins heureux au Salon. N’ayant pas trouvé grâce devant le Jury, je dus exposer au Salon des ‘Musés, mais, cette fois, le succès des » refusés n fut moins grand. La carrière de notre pauvre Salon dut même s’arrêter là. Quant à moi, en 1865, une fois de plus, j’eus la bonne for-tune d’être admis à l’autre Salon, celui de Cabanel, avec un tableau qui repré-sentait un monsieur se pro-menant dans la forêt de Fontainebleau, suivi de ses chiens. C’était un de mes amis, le peintre Lecoeur. Ce tableau est peint au couteau, par exception ; car c’est un procédé qui ne me va pas. Je me souviens, cependant, d’avoir peint également au couteau, la même année, une chasse-esse grandeur nature. J’avais voulu faire tout bonnement une étude de nu. Mais, comme on avait jugé ce sujet peu conve-nable, je mis un arc dans les mains du modèle, et à ses pieds une biche. J’ajoutai une peau de bête pour cacher la nudité du modèle, et mon étude de nu devint une nymphe chasseresse, sujet des plus convenables. Je ne tfouvai pas davantage à la vendre. Si, pourtant ; il se présenta un amateur, mais l’affaire ne se conclut pas, car il voulait acheter la biche seule, et moi je ne voulais pas » détailler mon oeuvre. » Moi. — N’était-ce pas de la même époque que votre Diane chasseresse, ce grand tableau avec des gens autour d’une table ? RENOIR. — Vous voulez parler du Cabaret de la mire Antony. C’est de 1865. Je me rappellerai toujours l’excel-lente mère Antony et son auberge de Mariotte, la vraie auberge de village. Je pris comme sujet de mon tableau la salle com-mune, qui servait aussi de salle à manger. La vieille femme coiffée d’une marmotte est la mère Antony en personne ; la superbe fille qui sert à boire, c’est la ser-vante Nana; le caniche blanc, c’est Toto, qui avait une patte en bois. Je fis poser autour de la table quelques-uns de mes amis, dont Sisley et Lecoeur. Les parois de la :alla. comme je l’ai indiqué dans mon tableau, étaient couvertes de peintures fai-tes à même le mur. C’était LA FORÉS DE FONTAINEBLEAU ( [864). rceuvre sans prétention, mais souvent très réussie, des habitués de l’endroit. La silhouette de Murger, que j’ai reproduite en haut, à gauche dans ma toile, était de moi. Certaines de ces décorations me plai-saient infiniment, et je ne cessais de recommander de ne jamais les faire gratter. J’avais même cru les avoir mises pour toujours à l’abri de la destruction, en disant à la mère Antony que, si la maison était démolie plus tard, je lui achèterais quel-ques-unes de ces fresques, Mais, l’été suivant, reve-nant à Mariotte , à l’auberge, je trouve une salle à manger repeinte à neuf et, en bonne place, ma grande tartine. Voici ce qui s’était passé: Henri Regnault, déjà célè-bre, s’était arrêté chez la mère Antony, et, rceil déli-cat du futur auteur du Général Prim s’était offus-qué d’une décoration aussi grossière. Un des rapins ne s’était-il pas avisé de transformer le derrière nu d’une grosse dame en une figure moustachue de vieux grognard! Effacez-moi vite toutes ces horreurs, s’était écrié Regnault ; je vous peindrai, à la place, quelque chose de vraiment artistique. La mère Antony, confiante, avait fait venir un badigeonneur, et Regnault était parti quelques jours après, sans avoir songé un seul instant, comme de juste, à tenir sa promesse. Pour cacher la nudité du mur, on avait alors pensé à ma toile, que j’avais abandonnée en m’en allant, et qui avait été reléguée au grenier. Ce que j’étais content de me voir amoché! Il me semblait déjà que c’était la gloire. La gloire Je sais maintenant ce que c’est :