20 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE pas d’aller au rendez-vous, et ma première question fut pour m’informer si le patron était commode. « — Oh ! c’est un bien brave homme, je suis son neveu. ■, Sur le moment, cela m’effraya beaucoup, car il fallait avouer au neveu que, jamais, je n’avais peint de stores. « — Mais ce n’est pas si malin que ça, fit l’autre. Avez-vous déjà fait de la figure ? « Je commençais à respirer. Je fus rassuré tout à fait quand je vis que la peinture sur stores ressemblait beaucoup aux autres façons de peindre, à cela près, qu’il fallait mêler à la couleur une certaine quantité d’essence. « J’ajouterai que ce fabricant de stores travaillait pour des missionnaires qui emportaient avec eux, en rouleaux, d’énormes bandes de calicot. sur lesquelles étaient peintes, en imitations de vitraux, des scènes religieuses. Arrivées à destination, ces toiles étaient tendues sur des châssis et les nègres, les Peaux-Rouges et les Chinois avaient l’illusion d’être dans une véritable église. « Je ne fus pas long à abattre une superbe vierge avec mages et chérubins. Mon « professeur n, qui ne cachait pas son admiration, risqua : « — Oseriez – vous attaquer un saint Vincent de Paul? « Il faut dire que, dans les Vierges, le fond du tableau était constitué par des nuages que l’on ‘faisait facile-ment, en frottant la toile avec un chiffon, sauf que la couleur vous coulait dans les manches quand on n’avait pas le tour de main; tandis que, pour le saint Vincent de Paul, il fallait plus de science. Ce personnage était représenté généralement faisant l’aumône aux pauvres à la porte des églises, ce qui entraînait à exécuter un motif d’architecture. Je sortis non moins victorieuse-ment de cette seconde épreuve. Je fus engagé sur l’heure. Je prenais la place d’un vieil ouvrier, la gloire de l’atelier, qui était tombé malade, et n’avait pas l’air de vouloir se relever. « — Vous marchez sur ses traces, me disait le patron, vous arriverez sûrement à l’égaler un jour. « Un seul point tracassait mon homme. Il était ravi de mon travail ; il allait même jusqu’à avouer n’avoir jamais trouvé une main aussi habile, mais comme il savait le prix de l’argent, il était désolé de me voir m’enrichir si facilement. Mon prédécesseur, ce vieil ouvrier qui ne paraissait plus à l’atelier, mais dont l’exemple était toujours cité aux nouveaux venus, ne peignait jamais rien sans une longue préparation et une mise aux carreaux soignée. Lorsque le patron me voyait camper mon personnage du coup, il en restait suffoqué et ne pouvait s’empêcher de me dire : — Quel malheur de vouloir gagner tant d’argent. Vous verrez que vous finirez par perdre la main. « Lorsqu’il dut enfin constater qu’il fallait renoncer pour toujours à sa chère mise aux carreaux, il aurait bien voulu diminuer les prix; mais j’étais soutenu par le neveu, lequel m’avait pris en affection et me répétait toujours : « — Tenez bon, le patron ne peut pas se passer de vous; il est trop heureux de vous avoir rencontré. « Cependant, lorsque j’eus amassé une petite somme, ce fut moi qui dis adieu à mon fabricant de stores. Je renonce à vous peindre sa désolation de voir partir un ouvrier aussi habile. Il alla même, dans son désir de me retenir, jusqu’à me promettre, si je lui continuais ma•collaboration, de me céder un jour sa maison. « Malgré des offres aussi tentantes, je ne me laissai pas séduire, et, ayant de quoi vivre quelque temps, à condition, bien entendu, de ne me livrer à aucun excès, j’allai apprendre_ la « grande peinture « chez Gleyre, où l’on étudiait sur le modèle vivant. « Ce qui m’attirait chez Gleyre, c’était que j’allais y retrouver mon ami intime, Laporte. Nous nous étions liés tout enfants. Avant d’aller chez Gleyre, je n’avais jamais eu l’idée de faire de la peinture et je serais peut-être resté tout de même chez mon fabri-cant de stores, sans l’insistance avec laquelle Laporte m’engageait à venir le rejoindre. Il arriva cependant que notre belle camaraderie ne dura pas, tant nos pen-chants étaient devenus différents ; mais combien je suis reconnaissant à Laporte de m’avoir décidé à prendre une résolution qui, non seulement a fait de moi un peintre, mais à laquelle rai dû, en outre, d’entrer en rapports avec de futurs amis, tels que Monet, Sisley et Bazille ! Gleyre était un fort estimable peintre suisse qui, ne pouvant être personnellement d’aucun secours à ses élèves, avait, au moins, le.très grand mérite de leur laisser toute liberté. Aussitôt entré dans son atelier, je me liai avec les trois camarades flué je viens de nommer et dont l’un, Bazille, après avoir donné tant de belles promesses, mourut, tout jeune, à la première bataille de 1870. C’est à peine si l’on commence à lui rendre justice aujourd’hui. Les premiers acheteurs de « l’im-pressionnisme ne prenaient guère sa peinture au sérieux, sans doute parce que Bazille était riche. Mot. — Quels étaient alors les maîtres vers lesquels vous vous sentiez portés, vos amis et vous ? RENOIR. – Monet arrivait du Havre, où il avait connu Jongkind pour lequel il s’était pris de la plus vive admiration. Sisley était surtout sous l’influence de Corot, et, quant à moi, mon grand homme d’alors c’était Diaz. Il faut ajouter que cette peinture de Diaz, qui est aujourd’hui devenue si noire, était, à cette époque, aussi étincelante que des pierreries. — Ne vous est-il jamais venu à l’idée de suivre les cours de l’Ecole des Beaux-Arts ? FIND ART DOC