18 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE qui exécutait, pour mon patron, des modèles de coupes et de vases. Il m’avait pris en amitié, et me témoignait son intérêt en me faisant copier ses modèles. Après quatre années de cette vie, mon apprentissage terminé, je voyais à dix-sept ans s’ouvrir devant moi la magni-fique carrière de peintre sur porcelaines à six francs par jour, lorsque survint une catastrophe qui ruinait irré-médiablement ce rêve d’avenir. On venait de faire les premiers essais d’impression sur feenc,– et porcelaines. L’engoue ment du public fut très grand, comme toutes les fois que l’on remplace le travail de la main par une mécanique. Du coup, l’atelier dut fermer. Comme j’avais fini par devenir très habile, j’essayai de faire concur-rence à la machine, en travaillant aux mêmes prix ; mais il me fallut bien vite y renoncer. Les marchands à qui je pré-sentais mes tasses et mes soucoupes semblaient s’être donné le mot pour me dire : « Ah ! c’est « fait à la main : notre « clientèle préfère le tra-« vail à la machine, qui « est bien plus artistique.« Alors, je me mis à pein-dre des éventails. Ce que j’ai copié de fois L’Em-barquement pour Cythère! C’est ainsi que les pre-miers peintres que je connus furent Watteau tout hasard : le patron jurait et pestait contre ces feignants d’ouvriers : jamais les peintures de son café ne seraient terminées à temps! Je lui offre aussitôt de faire sa décoration. « — Mais ce n’est pas un, c’est encore trois ouvriers au moins qu’il me faudrait, et de vrais ouvriers. « J’étais petit et fluet. Sans discuter davantage, je grimpe à l’échelle, et je montre à cet entité que je pouvais rivaliser avec quiconque, pour la rapi-dité à peindre. Je vous laisse à penser sa joie ; et, de mon côté, j’étais joli-ment content de me voir enfin embauché. Mais, les fresques du café terminées, je dus retourner à mes éven-tails, lorsque, une autre fois, en passant devant un atelier, je vis, collée ,ur la porte, une petite annonce : « On demande un ouvrier pour stores. « C’était tout à fait mon affaire. « — Où avez-vous tra-« vaillé, s’informe le pa-tron ? « Là-dessus, très embar-rassé, je réponds à tout hasard : A Bordeaux », choisissant un endroit très lointain. Je croyais naïvement que le patron aurait eu l’idée d’aller sur place s’enquérir de mes talents. Mais, il avait bien autre chose en tête, le patron. 11 disait : « Où « avez-vous travaillé ? » LE CABARET DE I.A MÈRE ANTONY (18(75!. Lancret et Boucher. « J’avais encore une autre source de revenus. Mon frère aîné. qui était graveur sur médailles, me procurait quelquefois des armoiries à reproduire. Je me souviens d’avoir fait un saint Georges tenant un bouclier, sur lequel je devais mettre un autre saint Georges dans la même posture, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le dernier bouclier et le dernier saint Georges ne pussent plus être vus que par le moyen d’un verre grossissant. Mais, les uns dans les autres, les éventails et les saints Georges donnaient peu, et je ne savais plus que faire, quand, un jour, passant rue Dauphine, je tombai sur des peintres en train de décorer les murs d’un café. J’y entre à parce que c’est la formule consacrée quand un ouvrier demande de l’ouvrage. Il ajouta aussitôt : « — Vous m’apporterez un échantillon do votre savoir-faire ; et, au revoir, jeune homme. « Heureusement, avant de m’en aller, j’avais eu le temps de lier conversation avec un des ouvriers qui m’avait paru bon garçon, et à qui j’avais demandé quelques renseignements sur la peinture de stores. « — Venez donc me voir chez moi dimanche prochain, m’avait-il répondu; je vous montrerai comment on procède : nous causerons. « Trop teureux de cette bonne fortune, je ne matit{ FIND ART DOC