LA JEUNESSE DE RENOIR • ETANT un jour chez Renoir, il lui arriva de me parler de son enfance. Profondément intéressé par ce que j’entendais, je pris l’habitude, chaque fois que je voyais Renoir, de lui demander de me dire et, c’est cette histoire de la ieunesse des choses de sa vie d’un grand peintre que je vais rappor-ter ici, avec la seule préoccupation de répéter fidèlement les paroles du maitre. — Je suis né, commença Renoir, à Limoges, en 1841. Ne me demandez pas de vous parler de cette ville ; j’avais à peine quatre ans lorsque j’en suis parti, pour n’y plus revenir. Mon père était un modeste artisan qui, ayant peine à vivre dans son pays natal, devait bientôt aller chercher fortune à Paris. « A l’école com-munale, où l’on m’avait mis, mes maîtres me repro-chaient de passer tout mon temps à dessiner des bons-hommes sur mes cahiers ; mais mon père n’en était nul-lement désolé, car il espérait qu’avec de telles dispo-sitions pour l’art je pourrais, un jour, devenir déco-rateur sur porcelaines. Étant d’une ville célèbre par ses céramiques, il était naturel que la profession de peintre sur porcelaines apparût à mon père tout ce qu’il y avait de plus beau au monde; plus beau mème que la musique, où mon professeur de solfège conseillait vivement de me pousser. j’allais oublier de vous donner le nom de ce professeur : c’était Gounod, alors àgé à peine de trente ans, et maître de chapelle à Saint-Eustache. Quand il fut bien arrêté que je deviendrais « artiste «, on me mit en apprentissage à Paris chez un indus-triel qui avait une fabrique de terres vernissées. A l’âge de treize ans, je devais gagner ma vie. Ma besogne consistait à semer sur fond blanc des petits bouquets qui m’étaient payés à raison de cinq sous la douzaine. Quand il s’agissait de grandes pièces à orner, les bouquets étaient plus gros ; de là, une légère augmentation de prix, mais mon fabricant trouvait que, dans l’intérêt même de ses « artis-tes »• il fallait se garder de trop les couvrir d’or, de peur d’en faire des pares-seux. Toute cette vaisselle partait ensuite pour les pays’d’Orient. J’ajouterai que le patron prenait soin préalablement d’a-jouter, au dos de chaque pièce, le chiffre de Louis-Philippe et la mar-que de la Manu-facture de Sèvres. Lorsque je fus un peu plus sûr de moi, je lâchai les petits bouquets pour me lancer dans la figure, toujours aux mêmes prix de famine. Je me souviens que le profil de Marie-Antoinette m’était payé à raison de huit sous. « Ma journée de travail commençait à huit heures. De dix heures à midi, en guise de récréation, je courais au Louvre dessiner d’après l’antique. Au sortir du i%lusée, et après avoir mangé un morceau sur le pouce, je retournais à la fabrique où, jusqu’au soir, je peignais mes tasses et mes assiettes. Ce n’était pas tout. Après le dîner, j’allais chez un vieux brave homme de sculpt VÉNUS ET L’AMOUR (186o) FIND ART DOC