2 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE d’une grande richesse en oeuvres du génial visionnaire. Celle-ci aurait apporté une note nouvelle et charmante dans notre ensemble, voilà tout. Mais s’il s’était agi d’une de ces choses dont la possession vaut une :victoire, il en aurait été absolument de même. Et c’est cela qui mérite qu’on y réfléchisse, car le fait peut se représenter en plus grave. Analysons-le donc sous ses différents aspects et au point de vue de ses conséquences. Jadis (il n’y a pas, du reste, tant d’années), il était d’usage, un usage qui était presque devenu une règle, de ne point lutter contre le Louvre. Les collectionneurs les plus ardents considéraient comme une sorte de pieux devoir de refréner leurs plus chères ambitions. Les étrangers eux-mêmes, très souvent, mettaient comme une coquetterie de courtoisie à témoigner de cette façon ‘à la France leur sympathie et leur admiration. L’incident de la salle Petit prouve que les choses ont une tendance à changer. Remarquez d’abord que ceux qui poussaient assez violemment contre le Louvre pour mériter d’être fermement rappelés à l’ordre ne sauraient, à quelque nationalité qu’ils appartiennent, être pris pour nos amis. S’ils agissaient pour le compte de pays alliés, ils n’en représentaient pas la partie la plus fraternelle. S’ils étaient neutres, la partie la plus désintéressée ; et enfin, si par hasard ils avaient opéré pour le compte de quelque ennemi, on devait tout au moins relever leur façon de faire rentrer de l’argent en France. A ce sujet, un spirituel fonctionnaire avait suggéré doucement au commissaire-priseur d’adjuger, sans enchères, aux trop zélés coricurrents, la seule oeuvre allemande de la collection, une esquisse de Menzel. Mais un autre fit observer que ce serait sans doute le seul numéro que l’Allemagne ne tiendrait pas à acquérir. • De toute façon, il faut bien que nous soyons avertis, si nous ne l’étions déjà, que pour les grandes ventes à venir, nous aurons à soutenir des combats encore beau-coup plus acharnés que par le passé. • Nous aurons à compter avec des partenaires de deux sortes. Les uns, ce sont nos propres compatriotes, col-lectionneurs éprouvés déjà, ou collectionneurs nouveaux surgis dans la catégorie des nouveaux riches ». Pour ceux-là, la réponse à notre question est tout indiquée ; elle est catégorique ; elle ne comporte aucune restriction : «L’on ne doit point lutter contre le Louvre ! à moins toutefois que ce ne soit avec l’intention de lui offrir ce à quoi il serait forcé de renoncer. En ce qui concerne les collectionneurs et les musées étrangers, le problème est beaucoup plus délicat. Les peuples qui, une fois la paix signée, deviendront on ne pourra pas dire nos amis, et demeureront on ne pourra pas dire nos ennemis, nous n’avons rien à leur demander en pareille matière. Ce sera à nous de savoir nous défendre. Comment ? Nous en dirons un mot à l’instant. – Restent les nations véritablement amies, dont les musées et collectionneurs auront le choix, pour témoi-gner leur amitié, entre payer les oeuvres des prix formi-dables et s’effacer devant tel ou tel désir exceptionnel du Louvre. Pour celles-ci, aucune règle ne saurait non plus sans inélégance être tracée. Il faudra s’en rapporter au sort, aux bonnes intentions, — et aussi aux ressources que la France aura l’intelligence de consacrer à cette lutte si importante pour le prestige universel de notre patrie. Une simple hypothèse encore. La collection Degas s’est vendue, en chiffres ronds, deux millions et demi. Si le gou-vernement français avait proposé deux millions, en bloc, ou même ces deux millions et demi aux héritiers, ceux-ci auraient-ils refusé ? Mettons qu’ils aient accepté, qu’au-rait été cette somme, on peut dire relativement et même absolument faible, au prix des centaines de mil-liards de la guerre, pour prix d’une si éclatante victoire ? Si un nouveau riche enfin avait acquis pour quelques centaines de mille francs un certain nombre des plus écla-tants chefs-d’oeuvre afin de les offrir à la France, qui aurait songé à critiquer ses bénéfices de guerre ? Or, comme aucune de ces hypothèses ne s’est réalisée, et peut-être ne se réalisera de si tôt; il peut être suggéré une combinaison nullement chimérique de l’une et de l’autre. Je me rappelle qu’en 1892 je vis à Berlin le fameux Bode, qui à cette époque était, quoique très actif, un beaucoup plus mince personnage qu’auj ourd’ hui, … depuis l’acquisition de la Flora. Et je revois le sourire avec lequel il me disait : Toutes les fois que j’ai besoin d’une somme, si importante soit-elle, pour emporter une oeuvre si illustre qu’elle soit, j’ai un comité qui ne met pas sa gloire à se faire connaître, mais bien à me donner l’argent nécessaire. n Eh bien ! concluons : il faut, à la fois, que le Louvre soit en état de lutter, par des crédits, opportuns et décisifs, contre tous les adversaires possibles, et que des Français se • trouvent aussi fervents. envers • la France que ces Allemands anonymes envers le Musée de Berlin. Songez que nos musées des départements éprouvés auront à être repeuplés par les réserves du Louvre, et que le Louvre, pour se maintenir au premier rang des musées du monde entier, devra ambitionner et conquérir les plus grandes oeuvres que les destinées offriront à cette conquête ! En fin de compte, à cette question : (i Doit-on lutter contre le Louvre ? » nous répondons par cette autre : La France doit-elle laisser le Louvre succomber dans toutes les luttes ? » ARSÈNE A LEX FIND ART DOC