134 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LL7XE président tient en ses mains, avec leurs teintes diffé-rentes ; ceux du lourd tapis de velours bleu qui couvre la table ; ceux de la robe et de la simarre, sont rendus avec un art et une délicatesse infinis. Combien le peintre dut-il contempler les jeux de la lumière, sur la perruque et le visage du président, sur ses mains, sur son costume, la mappemonde qui luit, la tabatière qui miroite, sur les moindres objets enfin ! La technique est un peu différente de celle que La Tour devait suivre plus tard. Les touches sont moelleuses, douces, juxtaposées et non confondues ; elles suivent le dessin général des lignes qu’elles veulent exprimer ; elles sont relevées d’accents. Souvent ces accents mar-quent des ombres et sont de couleur bleue, notamment pour indiquer l’ombre dans les chairs. Ces touches sont d’une finesse et d’une légèreté extraordinaires ; et plus l’.on considère cette oeuvre immense, plus l’on com-prend quel effort considérable et soutenu le peintre dut faire pour arriver à une telle perfection dans le détail sans nuire en aucune façon à l’ensemble. Le procédé que La Tour employa pour réaliser maté-riellement le tableau est fort intéressant à étudier. Il a peint sur papier ; mais il n’avait pas de feuille de dimensions suffisantes. Au lieu de prendre des feuilles semblables et de les juxtaposer, pour qu’il ne se produisit pas de cassure dans les parties essentielles, il divisa son sujet en un certain nombre de parties cons-titutives, tête, mains, simarre, robe, et découpa pour chacune d’elles une feuille de papier de la grandeur et de la forme convenable. Il les mit ensuite en place, les joints du papier se perdaient ainsi dans les grandes lignes et les coupures horizontales et verticales étaient supprimées. Il reprenait, peut-être sans le savoir, le vieux procédé des peintres-verriers du moyen-âge. Il fixa chacune de ces feuilles sur un canevas de toile, soutenu lui-même par un support en bols. Alors seule-ment il prit ses crayons. Le portrait terminé, il le fit enchâsser dans des montants en chêne maintenus aux angles par des équerres en fer. Une feuillure creusée dans ces montants reçut la glace par l’intermédiaire d’un bourrelet d’étoupe. Une bande épaisse de papier noir ferma complètement les joints et empêcha la pous-sière de pénétrer entre le verre et le pastel. Par derrière, enchâssé de même dans ces montants de chêne, une sorte de parquet protège le tableau. Le cadre maintint le tout. L’excellent état de conservation du pastel ne semble pas seulement dû aux précautions infinies prises pour le monter et le protéger des atteintes de l’air et de la pous-sière. Il a été fixé par La Tour au moyen d’un procédé que nous ne connaissons pas encore bien dans ses détails. Peut-être le peintre avait-il un procédé particulier (r). – — – — (z) II est constant que des procédés de fixage du pastel ont été connus dans la première moitié du xinee siècle.. Dès avant 1750, La Tour fixait ses oeuvres. Voy. Tourneux, oser. cd., p. 75. Quoi qu’il en soit, ce n’est guère que dans l’application qu’il devait différer des autres en usage à l’époque (r). L’essentiel devait être l’emploi de la colle de poisson dissoute dans de l’eau mélangée d’alcool. Qu’il ait fixé son œuvre en projetant cette colle dessus ou dessous le papier, à travers un voile ou non, ce n’est là qu’un détail. La Tour nous a lui-même renseigné sur le fait. Content de son modèle, il lui donna son portrait en miniature, avec cette inscription : « La Tour, peint par lui-même. donne ce portrait à M. le Président de Rieux, dont il a fait le tableau en pied et aussi en pastel fixé. » (2). Le portrait du président de Rieux parut au Salon de 1741 ; il y fit sensation. Les connaisseurs affluèrent devant le tableau ; on a un écho de leur admiration dans une Lettre à M. de Poiresson-Chamarande, qui présente de l’intérêt pour nous parce qu’elle nous donne des observations que nous ne sommes plus en état de faire aujourd’hui par la comparaison du modèle et du tableau : « M. le Président de Rieux, écrit l’auteur de la lettre, est assis dans un fauteuil de velours cramoisi, adossé à, un paravent et ayant sur sa droite une table couverte d’un tapis de velours bleu, enrichi d’une crépine d’or. Entre les objets qui chargent cette table, on remarque comme inimitables, une tabatière de ces maubois entre-lassées et une plume un peu jaspée d’encre sur ses barbes. « Quant à la figure, elle est d’une ressemblance qui passe toute expression, .toute imagination même, et d’une étude qui tient du prodige. Elle est terminée avec le dernier soin et a, cependant. un air de liberté qui en déguise le travail. Elle est vêtue d’une simarre noire et d’une robe rouge. L’un se récrie : la perruque, l’autre : le rabat ; les plus somptueux sont jaloux des man-chettes. On sent la légèreté du cheveu, la finesse de la trame du linge et l’apprêt de l’ouvrière, la délicatesse et le détail immense de la dentelle. C’est un ouvrage mira-culeux. C’est de la Saxe même, il n’est pas possible que ce ne soit que du crayon. Cette figure a sous les pieds un tapis de Turquie, qui n’est pas moins admirable dans son genre. Ce M. de La Tour a le secret de toutes les manu-factures… » Un autre auteur, cherchant quelles louanges on pourrait donner à M. de La Tour « qui ne fussent au-dessous de la vérité », cite une pièce de vers qui lui est tombée s par hasard » entre les mains et qui se termine par cet alexandrin : (t) Sur les méthodes employées au grue siècle pour fixer le pastel, voir notamment le Traité de la peinture au pastel, par P (aulj R [main] de C[haperon), p. 307 et suiv. Paris, 1788, in-80. (2) Cette miniature est conservée, aujourd’hui au ch5teau de Glisolles. E. de Clermont-Tonnerre, ouvr. cil., p. 174. FIND ART DOC