LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET LES INDUSTRIES DE LUXE 129 Ces raisons nous ont amené a donner une description de ce portrait véritablement magnifique et à dire quelques mots du modèle en essayant de présenter la figure du président de Rieux avec exactitude, Nous avons fait ensuite un bref historique de l’ceuvre et exposé les procédés matériels de réalisations imaginés par La Tour: ils nous aident à mieux comprendre son art, dont on peut dire avec justesse qu’il fut grand jusque dans les moindres choses. Gabriel Bernard de Rieux est représenté dans son cabinet de travail revêtu du costume de sa charge de président au Parlement de Paris (t). Son attitude est majestueuse, comme il convient à la grandeur de son rôle — car c’était un fort grand personnage qu’un président au Parlement — mais nullement forcée. Assis dans un vaste fauteuil, il regarde le spectateur. Un grand cahier qu’il soutient de la main gauche, et dont il va tourner un feuillet de la main droite, repose sur son genou. La jambe droite est légèrement avancée, la gauche ramenée en arrière. Il est habillé du grand costume des présidents : simarre noire légèrement serrée à la taille par une large ceinture, découvrant, du côté droit, le soulier à boucle d’argent ; rabat bleu, robe rouge nouée aux épaules, dont les plis retombent der-rière lui sur les bras du fauteuil et descendent jusque sur un épais tapis d’Orient, où ils s’étalent. La figure est belle, les yeux sont bleus, le nez long et fort, la bouche ferme, le menton divisé en deux par un sillon. Le front est droit et haut, les joues sont pleines, un peu grasses ; les boucles légères d’une perruque blanche retombent jusque sur les épaules, et font ressortir ce grand visage. L’expression dominante est la sérénité. Au regard assuré on reconnaît un ‘homme en pleine possession de soi-même, qui a vu, qui sait ; mais une imperceptible et cependant sensible ironie se laisse saisir en cette calme figure. Cette bouche, aux lèvres sensuelles, ces yeux, légèrement moqueurs, ne sont point austères, et ils rient ; ils décèlent semble-t-il, un sceptique, peut-être aussi un homme de moeurs irrégulières… On ne peut se lasser de contempler cette physionomie qui veut être impassible, mais dont les traits dénotent par de fugi-tives indications un homme voluptueux et raffiné sous le masque d’un grave magistrat. Les mains sont fortes ; elles sortent de manchettes de fine dentelle dont la légèreté est rendue avec une extrême délicatesse de crayon. Derrière lui, un grand paravent de Chine aux tons (t) Voici les dimensions de l’oeuvre : Le pastel mesure hors cadre 2.10 de hauteur sur 10151 de largeur l’ensemble mesure 3.05 de hauteur sur 2.,:o de largeur. La figure est grandeur nature. bleu et cuivre. A sa droite, une table couverte d’un tapis de velours bleu bordé d’une crépine d’or, sur laquelle se trouvent des livres, une feuille de papier, une lettre décachetée, une écritoire avec une plume d’oie, une tabatière ronde faite de fibres de bois tressées; derrière cette table, le haut d’une mappemonde. Au dernier plan, le fond du cabinet ; on aperçoit un angle de la pièce, meublé d’une bibliothèque de coin, à incrustations de cuivre et ornée de bronzes ciselés, dans le style de Boulle ; les rayons sont garnis de volumes. Sur ce meuble, une pendule de même style, flanquée d’urnes de porcelaine (r) et de magots chinois. La lumière vient de la droite, d’une fenêtre qu’on ne voit pas. Après avoir illuminé la table et les objets qu’elle porte, elle éclaire fortement la figure, la perruque blanche, la main droite ; elle se joue dans les dentelles des manchettes, dans les draperies dont elle fait res:- sortir les tons, dans les moindres plis » des feuillets du livre que tient ouvert le président. Ses rayons sont arrêtés par ce livre et ce n’est que faiblement que l’on distingue la jambe gauche et les plis de la robe qui cou-vrent les bras du fauteuil et tombent en flots épais jus-qu’à terre. Une patte d’hermine troue cette ombre ainsi que le pied doré du fauteuil, qui brille. Le fond du cabinet reste plongé dans la pénombre. Confusément apparaissent la bibliothèque, la pendule, dont s’assom-brissent les ors. Un immense cadre de bois sculpté et doré à large bordure, véritable monument de la sculpture en bois, entoure le pastel. Il est bien de son époque, de ce temps où le style dit rocaille était le plus à la mode, Il fut sans doute exécuté d’après les dessins de Juste-Aurèle Meis-sonnier. Au milieu des montants et dans les angles, il pré-sente des rocailles diversement contournées et de petits médaillons ovales ornés de fleurons. Des volutes garnies de perles, des entrelacs et des rosaces complètent sa décoration. Le fronton, très grand, est entouré de guir-landes de roses. Les attributs de la Justice, la balance et le code, et ceux de la Prudence, le serpent et le miroir, y sont figurés ; un rameau d’olivier se glisse parmi eux. le pastel est protégé par une glace d’une seule pièce de forte épaisseur (z). (1) Le président de Rieux laissa dans son testament au • Dyle, con-trôleur de Meudon, sa belle pendule de Julien Le Roy, avec les deux urnes de porcelaine jaspée étant dans la première pièce de son grand appartement Testament de Bernard de Rieux, Arch. de la Seine, Insi-nuations, reg. 232 (année 1746, 4, semaine d’août). Ce sont peut•ètre les mômes objets. (a) Des glaces de cette dimension, sans are exceptionnelles à cette époque, étaient rares. Il nesemble pas que celle-ci ait pu être fabriquée ailleurs qu’a la Manufacture royale et, probablement, à Saint-Gobain, dont les archives ne sont pas consultables pour le moment. Les dossiers conservés aux Ar-chives nationales (o’ 1990) ne fournissent aucun renseignement. Le cadre et la glace avaient entité ensemble, selon un auteur du temps, la somme de cinquante louis. Cette estimation semble être au•dessous de la vérité. D’après le Tari! des glaces de la Manu/achat royale (Paris, 1754, in-12)• une glace de pareille grandeur valait z 12o livres. 4 FIND ART DOC