LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE 113 Il lui commanda le Théâtre de Marionnettes polonaises, le Pardon dc Biélany et aussi, en partie, cette suite ravis-sante de vues de Lazienki comptent parmi les meil-leures productions de notre peintre. Lazienki est un endroit enchanteur aux environs de Varsovie ; moins solennelle que Versailles, cette demeure d’été porte la marque du goût le plus raffiné. C’est aussi la cité des eaux, qui égaient tout le domaine et baignent les amphi-théâtres, les terrasses, les obélisques. Norblin, en des gouaches délicieusement irréelles, avec des couleurs d’ailes de papillon, a su fixer les féeries nocturnes que le roi y prodiguait durant la belle saison : feux d’artifice, danses sur les pelouses bai-gnées de lune, opéras repré-sentés sur le théâtre antique tout en marbre blanc, pro-menades en gondoles sur les eaux violemment éclairées. Un des meilleurs tableaux de cette série est la Repré-sentation de nuit à Lazienki, de la galerie Mielzynski, à Posen. ‘5 Le trait distinctif du talent de Norblin, c’est la souplesse, l’incroyable di-versité. Et voici que bientôt le charmant imitateur de Watteau ‘et de Lancret. le hasardeux daviclien… avant la lettre, se montre l’obser-vateur le plus exact, le plus documenté, le plus attentif, de la vie polonaise. Et c’est là son principal titre de gloire. Après avoir lestement troussé — dans son atelier —quelque « promenade [champêtre s, il se hâtait vers la rue et entreprenait alors, pour son compte, une « pro-menade » bien autrement intéressante. Car il savait voir ; et, de plus, il voyait avec des yeux neufs, puisque étranger. Quel inépuisable sujet, pour un artiste, cette Pologne pittoresque d’alors, avec ses vieux guerriers aux armes somptueuses, ses seigneurs tout luisants de satins et de pierreries, ses partisans disputeurs, ses marchands aux pittoresques manteaux, ses femmes si belles que — Henri Heine l’écrivit plus tard, — « on ne devrait les regarder qu’à genoux ». Joignez à tout cela le grouillement des petits mêtiers en plein air, le barbier, le colporteur, le tueur de rats, le porteur d’eau, le paysan endimanché. le joueur de cornemuse, la vendeuse de fruits et de fleurs — tous et toutes en costumes bariolés, chatoyants, imprévus, et auxquels se mêlaient les Armé-niens coiffés d’Astrakan, les Juifs en lévites, les Cosaques, les Turcs, les Tartares, les Sibériens, chacun apportant sa note originale dans ce kaléidoscope où voisinaient Versailles, l’Orient, la steppe et le ghetto (1). Cet admirable champ d’observation, Saint-Aubin et Moreau ne l’avaient pas eu sous les yeux. Mais ce n’est pas tout. Quand Norblin se dirigeait, pour exécuter ses commandes, vers des villes ou des châteaux éloignés, il traversait la campagne polonaise splendide pendant l’été dans la dorure des blés (infinis, si mélancolique durant l’hiver sous le linceul des neiges. Et là, auprès des maisons de bois aux lourds toits de. chaume, à l’entour des clo-chers nostalgiques érigés sur la plaine immense, c’était un peuple tout autre, encore plus bariolé, patriarcal, bon, naïf et discoureur. Un pré-cieux recueil de quatre-vingt-trois aquarelles, con-servé actuellement au Musée Czartoryski, à Cracovie, peut étre considéré comme le résumé essentiel des obser-vations directes de Norblin penché en témoin attentif sur la vie nationale polo-naise. La princesse Czarto-ryska, qui était un peu comme une Isabelle d’Este pour son pays, a inscrit sur les marges de cet album des corrections pleines d’in-terèt, et même quelques silhouettes de sa main. A côté de la Jeune fille de Cracovie, elle noté : « A cette paysanne, il con 1, nt de remarquer que le col et les manches de la chemise sont brodés en plein. » Pour une dame de qualité, en grand costume, elle ajoute un croquis à côté de l’aquarelle de Norblin, et insiste : « La fourrure doit être marquée jusqu’au bas, blanche, le dessus, gros bleu. Le jupon et les man-ches, blanches ; point de manchettes, mais des manches pendantes etc… » A côté de ces types individuels, si ‘ étudiés, La Gourdaine sut fixer des scènes populaires à nombreux personnages, débordantes de vie, d’un mou-vement endiablé : L’Auberge, Le Bal polonais, Les Cosaques dans la steppe, Le Marché public Le Marché aux chevaux près dc Varsovie, et un nombre considé-JUIF ÉCRIVANT LE TALMUD. — GOUACHE. (COLLECTION NIEVERSON I (1) U convient de noter que Leprince, dans ses deux suites de • Cos-tumes • et • Cris de Moscou • avait déjà ouvert cette voie féconde, quel-ques années auparavant, mais en Russie. FIND ART DOC