LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE Peiresc, qui le connaissait, ne nous avait-il pas appris comment cette gemme gravée était parvenue dans le Trésor de Vienne ? Et Peiresc, à juste titre, est une de ces autorités en qui on peut avoir grande confiance. « Cette pierre admirable avait été rapportée, disait-il, de Palestine par les Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, donnée par eux à Philippe-le-Bel, léguée par le Roi• au couvent des religieuses de Poissy, qu’il avait fondé en 1304: elle fut volée vers 1562 pendant les guerres de reli-gion et vendue douze mille écus d’or à Rodolphe II. N’était-ce pas parfaitement clair ? Mais une pierre de cette importance ne passe pas inaperçue, à travers tout le moyen, âge, dans le trésor d’un couvent. Or, dans le fond de Poissy, il n’est nulle part question d’un camée. Nous y lisons seulement que le monastère fut pillé et brûlé du temps des Anglais, que la commu-nauté en fut absente pendant trente ans, 11 est plus que probable que si le Camée avait été à cette époque au couvent, il aurait disparu. Enfin, si, d’autre part, on recherche dans les Archives d’Autriche, on ne trouve aucune trace de l’achat du Camée, pas plus qu’à Prague, pas plus que dans l’Inventaire des Collections de l’em-pereur Rodolphe II, par Miseroni. Il n’y a rien non plus dans les registres impériaux transportés en Suède pen-dant la guerre de Trente Ans et découverts depuis les travaux de l’abbé Eckel ; je les ai vainement interrogés Nous n’avons ainsi aucun renseignement avant 1619, au moment où Peiresc en parle ; et le joyau n’apparaît dans les Catalogues de la Maison impériale que dans un inventaire de 1779 sons le-No 178 : « Der grosse, schbne und sehr berumhte Onyx, au/ welche»: der Triutnph des Kaisers Augusti beschrieben ist. » Donc, de Poissy, rien. Mais au même • moment mes fiches me révélaient un article des plus intéressants de l’Inventaire de Fontainebleau, dressé en 156o : « No 379• Un grand tableau d’une agathe, taillée en camailheu antique, feslée par la moytié, enchâssée de cuyvre, que l’on dit entre venu de Thoulouze, estimé vi c. escus. » Il y a là un « signe particulier » qui, comme dans tout bon signalement, ne laisse pas prise à l’erreur : « feslée par la moytié » ; et pour nous confirmer dans le rappro-chement avec le Camée de Saint-Sernin, une copie de l’inventaire qui est à l’Arsenal, porte : « Venu de Jheni-salem ». C’est bien la légende de Toulouse. Ainsi, en 156o, voilà le « Camayeul » à Fontaine-bleau. Comment, alors que tout le monde le suppose à Rome, dans les collections papales, se trouve-t-il dans le Cabinet du Roi, en France ? Une nouvelle enquête s’imposait ; il fallait la repren-dre au jour où le Camée quittait Toulouse pour Marseille. Les registres de la Ville vont nous donner de précieux renseignements. Le 28 novembre 1533, le trésorier de la Ville paye à 105 Étienne de la Montagne, courrier de poste, quatre-vingt-sept livres quinze sols tournois, qui lui sont dus pour avoir couru la poste de Toulouse aux Pennes, à trois lieues de, Marseille, pour faire apprêter les chevaux de poste pour Messieurs les délégués qui portaient le Camayeul au Roi. Quant à Antoine Vayleti, il présente aussi son compte. Nous trouvons là son itinéraire exact et nous pouvons alors reconstituer l’histoire du Camée. Le Roi le demande le zo octobre. Le Conseil refuse de l’envoyer. Le 7 novembre, ordre formel du Roi. Le .Conseil s’incline, et le Camée part le II novembre ; le 24 novembre, le Roi en accuse réception. Reste à savoir ce qu’en a fait le Roi. L’aurait-il donc simplement montré au Pape, comme il l’écrivait aux Capitouls ? En tous cas, où est-il question du don du Camée au pape ? Dans Mézeray. Où Mézeray a-t-il puisé le renseignement ? Dans Le Ferron, magistrat de Bordeaux, contemporain de l’événement il est vrai, mais qui, en réalité, fort éloigné de Marseille, rapporte simplement l’écho de Toulouse parvenu jusqu’à lui. Au contraire, aucun des écrivains qui pouvaient être renseignés de première main, n’en parle. Paul Jove, pourtant grand connaisseur, n’en fait pas mention ; bien plus, Jean Pellisson, qui, en 1534, prononce l’Orai-son funèbre du cardinal de Tournon, chargé de remettre au Pape les cadeaux royaux, énumère les admirables présents offerts à Clément VII ; le Camée n’y figure pas Mais encore, il •ourrait„malgré sa réputation univer-selle, avoir été oublié. Nous •devons alors nous poser une question très nette. Le Pape a-t-il reçu le Camée, était-il même encore’ à Marseille ‘quand le Camée y est arrivé ? Les registres et les comptes de la , Ville vont nous répondre. Le Camée part le 11 novembre au soir ; il met trois jours pour franchir les dix:neuf postes qui séparent Toulouse de Marseille ; il arrive donc à Marseille le 14 novembre au soir. Consultons maintenant le Liber Consistorialis de la bibliothèque Barberine, où les moindres gestes du Pape sont quotidiennement consignés. Le dernier Consistoire à Marseille est du lundi io novembre, le 12, départ de Marseille. Et dans l’Itinéraire de Clément VII (mi.nus-crit de la Barberine, XXXV, fo 45), on lit : « Mercredi, 12 novembre, départ de Marseille, nous venons à Salitrœ. Et Raynaldi d’ajouter : « Départ de Marseille le 12 : 13 à Saint-Tropez : le 14 à Villefranche. » Ainsi le Camée arrive le 14 et le Pape est parti le 12. Le Roi le conserve donc « jusqu’à ce qu’il soit cognu et desclaré à qui il sera «. Curieuse fin du procès entre les Capitouls et le Chapitre de Saint-Sernin. C’est donc bien le « Camayeul » que nous retrouvons dans le Trésor de Fontainebleau en 156o. Mais de là, comment est-il passé en Autriche ? Encore quelques années et nous allons retrouver sa trace. Une FIND ART DOC