LA RENAISSANCE De L’ART FRANÇAIS ET DES imweRiEs DE Luxe habit à la française; Jeanne, qui sera marquise Honorati, dont le joli cou nu est cerclé d’un collier, s’accoude au fauteuil maternel ; Loetitia, qui sera lady Wyse et aura une fille destinée à mener grand bruit, Marie-Loetitia Rattazzi de Rute ; Paul•Marie joue avec Polichinelle, et sa petite bouche puérile à la plus suave expression. Enfin, le dernier-né, Louis-Lucien, essaie de déchiffrer l’alphabet posé sur les genoux de sa mère. Mais que se passe-t-il ? Le con-cert a cessé que les enfants donnaient à leur mère. Char-lotte, la main encore au piano, tourne la tête vers la gauche, et Jeanne, dans le même mouve-ment instinctif, a porté la main droite à sa poi-trine. La lyre d’Anna a cessé de vibrer. Il y a comme une mi-nute de gravité attentive dans cette pièce où, auprès de la mère de famille, pas un des enfants ne manque. Oui, c’est cela, la mi-nute est grave. Lucien Bonaparte a sans doute an-noncé que tout ne va pas au mieux et qu’on aura de la peine à triompher des for-midables coali-tions qui mena-cent l’Empereur. On attend des nouvelles. Qui sait si l’on n’at-tend pas Lucien lui-même, qui va revenir après avoir fait tout son devoir auprès de son frère mal-heureux ? C’est le miracle de ce tableau de famille. Ingres y a mis tout cela, sans effort, instinctivement. La maison à beau être pleine •d’enfants, elle ne bruit pas comme une ruche. On attend. Ingres a écrit le poème de l’attente (I ). Longtemps après qu’il eut dessiné La Famille Lucien, Ingres souhaita la reproduire dans le recueil de ses oeuvres que Magimel publia et dont la gravure au trait fut confiée à Réveil. Il en écrivit à la princesse de Canino. Voici sa lettre, qui est demeurée inédite, et dont le comte Primoli à bien voulu me donner copie : 1.5 A Madame la Princesse Lucien Bonaparte. Princesse, Encouragé par quelques amis à publier une collection complète de mes oeuvres au simple trait, j’ai dû penser à une composition de la famille Lucien Bonaparte doublement précieuse et hono-rable pour moi puisqu’elle témoigne, Madame, de vos bontés à mon égard. Elle devient importante aussi sous le rapport historique dans une collection qui contiendra des por-— COMTE DE p. I) IN.HES. loi. Cl/., IS0-1S2 1S I..eRET. 1.1,1 traits de Napoléon : L’un Empereur, l’autre Premier Consul. Quant à l’exécu-tion de la planche qui me regarderait entièrement et qui serait le résultat merveilleux d’un nouveau procédé de gravure, j’ai l’hon-neur de vous en donner le spécimen; je joins ici une gra-vure de mon tableau de l’utile lisant J’ai l’honneur de soumettre à votre approbation une idée qui m’est sur-venue ; cette com-position ne pour-rait-elle pas recevoir une double valeur historique par l’in-troduction de la grande figure du chef de la famille, celle de Lucien Bonaparte ? Je ne puis affirmer que cela soit possi-ble, mais encore fau-drait-il la tenter et si avec le dessin vous pouviez, Ma-dame, en mème temps me faire par-venir une miniature ou tout autre petit portrait mème en. pied de Lucien Bona-parte, j’ai tout lieu de croire que je réussirais convena-blement. Excusez, Ma-dame, toutes mes hardiesses par les bons motifs qui m’a-niment et le z:ile que m’inspireratoujourslagloiredevotremaison. Permettez-moi, Princesse, de mettre à vos pieds l’hommage respectueux de votre tout dévoué serviteur. J, INGRES. Paris, le 22 aozit $850. Que se passa-t-il ? La Famille de Lucien Bonaparte n’a pas été reproduite au trait par Réveil. Et nous savons par l’original, qu’on trouvera ici, que Ingres ne retoucha pas l’oeuvre primitive, où le buste de Lucien Bonaparte se dresse seulement, au haut d’une colonne de marbre, en pendant au buste de Madame Mère, d’après l’original de Canova. HENRY LAPAUZE. FIND ART DOC