62  » LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE échantillons des étoffes les plus riches et du goût le plus nouveau. De leurs énormes emplettes, — étoffes brochées de Bon et pékins blancs, que devait peindre Van Leen, — plusieurs salles purent être tendues ou meublées, non seulement à Pavlovsk, auquel ils songeaient directement, mais même à Gatchina, que Catherine leur donna inopinément à leur retour. Les étoffes pour sièges qu’ils achetèrent furent appliquées en quelques cas sur des bois venus de France, mais, le plus souvent, sur des bois, ou très simples, ou assez lourds, fabriqués en Russie. Les grands-ducs, comme leur mère, avaient, au reste, donné des commandes à Pernon puisque, en 1787, un des associés de la maison annonçait que Paul Pétrovitch demandait un délai pour se libérer. Leurs Altesses furent reçues à Versailles et à Trianon avec la plus grande cordialité et, à leurs visites aux Gobelins et à Sèvres, des présents très importants leur furent offerts. Boizot modela les figures de la délicieuse toilette « beau bleu », enrichie d’émaux par Cotteau, qui fut faite pour la grande-duchesse. Cette toilette seule coûta 75.000 livres, et les bustes, biscuits, médail-lons, gobelets, tableaux de fleurs qui l’accompagnèrent valaient une quarantaine de mille francs. Les achats des grands-ducs à la manufacture s’élevèrent, d’autre part, à peu près à cette même dernière somme. Un accident de cuisson les avait seuls privés, en outre, de deux grands vases », projetés à leur intention, et dont la garniture, commencée par Duplessis, fut reprise ensuite par Thomire (r). Aux Gobelins, on présenta aux princes quatre tapis-series à fond rose d’après Boucher et on leur destinait une tenture de quatre pièces dont Vincent emprunta les sujets à la vie de Henri IV, roi que le grand-duc Paul affectionnait tout particulièrement. Dès la seconde semaine de son séjour à Paris, la grande-duchesse fit ouvrir, à l’ambas-sade, ses portes aux grands marchands. Accompagnée de sa fidèle amie la ba-ronne d’Oberkirch, elle se mit aussi à courir la ville en curieuse. « Les ébé-nistes et les quincailliers » eurent surtout sa visite elle se pourvut même, au Petit-Dunkerque, des fantaisies à la mode. Voulant juger sur place les oeuvres des architectes et des faiseurs en vogue, elle vit diverses maisons cé-lèbres, celles de Beaujon, de la Rey-nière, de la marquise de la Rivière, et celle où venait de mourir le duc d’Au-mont. Elle se risqua même, elle si hon-nête, à visiter celle de Mile Dervieux, qu’avait bâtie Belanger ; elle regarda (i) Arch. Nt.. Or. 2059. 2060. aussi la maison Thélusson et la Folie-Boulin (Tivoli) (r). Rien dé surprenant que les noms des fournisseurs de la reine et ceux des clients de choix qui viennent d’être mentionnés se rencontrent dans les palais de Marie-Féo-dorovna et dans ceux des chambellans du grand-duc, qui les accompagnaient, le prince M. B. Ioussoupov (qui commanda deux services à Sèvres, en 1784) et le somp-tueux prince A. B. Kourakine, dans la suite ambassa-deur à Paris. A côté de l’architecte Dugourc, beau-frère de Belanger, à qui Paul demanda le dessin d’une galerie, nous trouvons Jacob, Daguère, Héricourt, Weisweiler, Schwerdfeger, Beneman. Il faut y joindre le nom de Roentgen, dont les palais de Russie renfer-ment la collection de meubles la plus précieuse et sans doute la plus nombreuse qui soit. L’ébéniste-mécani-cien de la Reine fit, en 1784 et en 1786, deux voyages à Saint-Pétersbourg ; l’impératrice, les grand-ducs et la Cour lui achetèrent ses deux « cargaisons », consistant surtout en bureaux, tables à dessiner, pendules à gaine et clavecins. L’ameublement de Gatchina, propriété du grand-duc Paul, fut, malgré la tenue militaire qu’il y voulait, sensi-blement pareil à celui de Pavlovsk, à l’arrangement duquel Marie-Féodorovna présida seule. Divers meubles ou bronzes, achetés par paires, et répartis entre les différents palais impériaux, se trouvent, au reste, sem-blablement au Palais d’hiver, à Tsarskoé-Selo, et même à Peterhof, la vieille maison de plaisance (le Pierre le Grand. Marie Féodorovna aimait si jalousement son palais de Pavlovsk qu’elle en a écrit une description pièce par pièce et presque meuble par meuble. Elle y indique ce qui a été fait à Paris, ce qui vient d’Italie, ce qu’elle tient du roi de France ou des bontés de ses parents (1795). Très attachée aux objets, la grande-duchesse devenue impératrice douairière, tenta même d’en assurer la stabilité : « Aucun meuble, prescrivit-elle en 1827 dans son testament, ne saurait être distrait, ni donné que ceux dont je fixe l’em-ploi. Ceux qui, par la suite du temps, seront gâtés ou endommagés, doivent être remplacés par l’usufruitier » (2). C’est en partie sans doute, grâce à la précaution, nullement inutile, de cette princesse artiste, que plusieurs pièces des palais impériaux de Russie avaient gardé, jusqu’à ces derniers temps, une fixité d’arrangement qui en doublait l’intérêt. DENIS ROCHE. FAUTEUIL EN BOIS SCULPTÉ ET DORÉ RECOUVERT DE DAMAS, FIN DU XVIne SIÈCLE. (APPARTENANT AU COMTE BOBRINSKI, PETROGRAD.) (1) ..1!,n. de la B•• d’Oberkirch, t. 1. PI). 220.2 (2) P. %Veiner, Le mobilier du elufleau de Gal Sldrye Gody, septembre 1914, p. 42. FIND ART. DOC