54 LA RENAISSANCE- DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE 11X1′ merveilleux artistes qui, pendant trop longtemps, n’ont eu que Mirbeau pour les comprendre et les aimer. Com-ment il appréciait ces oeuvres et comment il en parlait, c’est ce qu’il me reste à dire. Un soir, à Cheverchemont, nous étions assis dans la vérandah et nous gardions le silence quand il se tourna vers moi et me dit : — Voulez-vous, mon petit Adès, que nous allions voir les Cézanne ? Cela nous arrivait souvent d’aller voir les Cézanne. Mais ce soir-là. il faisait très sombre dans le cabinet de Mirbeau et par suite de je ne sais quel accident il nous fut impossible de faire fonctionner l’éclairage de la pièce. Mais Mirbeau voulait voir les Cézanne. II prit dans sa poche une boîte d’allumettes et en alluma une devant le Paysage rocheux. C’est un immense rocher conique dans un ciel de vieil émail. Et sur ce rocher éclatant de soleil de petits arbres frêles s’accrochent qui semblent se consumer dans un brasier formidable… Entre les doigts levés du maître, l’allumette se consumait. Elle le brûlait déjà. Elle s’éteignit. Il murmura tout bas : — C’est beau… Il alluma une seconde allumette et de nouveau nous apparut le paysage splendide qui est certainement une des oeuvres maîtresses du grand peintre. — Oui… c’est beau… répéta le Maître. RODIN. – FEMME ACCROUPIE VUE LE DOS. (MARBRE). Debout, devant chaque toile qu’il éclairait ch» la petite flamme, il regardait et je le sentais préoccupé par la crainte que je ne vis pas, que je ne sentis pas toutes les merveilles conte-nues dans ces oeuvres qui sortaient une à une de l’om-bre mystérieuse. Ce fut la Paysanne en bonnet, belle et forte, enveloppée de la lu-mière réfractée d’un jour brumeux, ce fut le Bain dont les personnages sont parmi les plus admirables que peignit jamais Cézanne, ce fut le Pécheur à la ligne à la nuque de taureau, auprès duquel un couple s’enlace tandis qu’un chien renifle l’air et qu’un gros homme chauve se soulève lourde-ment après sa sieste domi-nicale. — Voyez, dit Mirbeau, comme-on sent tout Cézanne dans cette composition de jeunesse. Puis son bras s’inclina vers deux petites natures mortes. Dans l’une éclatent quatre pêches magnifiques, saines, massives, dans l’autre des pêches étranges, qui semblent se voiler de tout l’inconnu de la vie, des pêches lointaines, peintes comme des visages, comme des êtres frémissants qui vont mourir. Et Mirbeau s’exalte : — Vous voyez, dit-il, le bleu qui borde cette assiette, vous voyez ces pêches !… Il y a des gens qui n’aiment pas ça! Il y a des gens qui ne voient pas ça! bien que je ne fusse nullement étonné de ce qu’il enalt:de dire, il insista : — C’est ‘vrai, c’est la pure vérité!… Il y a des gens qui ne voient pas çal… Ils ne voient pas ça parce qu’ils ne voient rien, ni un arbre, ni un homme, ni une bête… Un jour M. Roujon me demanda ce que signifiaient les personnages de ce petit tableau… Il cherchait le sujet… Je lui répondis : « Ce sont des hommes!… »Ah! il fallait le voir, il était épaté! Des hommes! Est-ce que c’est un sujet, des hommes?… Il trouvait que ce n’était pas un sujet suffisant… De Van Gogh, dans la vente Mirbeau, on trouvera deux pièces caractéristiques : des poissons et le portrait du père Tanguy qui fut l’objet de plusieurs de nos entre-tiens. Le père Tanguy, marchand de couleurs installé rue Clauzel, fut un des premiers admirateurs MAILLOL. FEMME RETENANT SON VOILE. (TERRE CUITE.) FIND ART DOC