•1 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE 53 MAILLOL. – LA :MARCHE. quel point il a été en accord avec lui-même d’un bout à l’autre de sa carrière dans le choix des artistes qu’il a sou-tenus. C’est qu’il dis-posait d’un critère in-faillible : la Vie. Tout ce qui était dans la vie était beau, tout ce qui était en dehors de la vie était laid. Et il entendait par la vie : la chair, le sang, le so-leil, le mouvement… Si bien qu’il pouvait dire de Gustave Mo-reau : « Il fait des mythes, c’est-à-dire de la mort parce qu’il ne peut faire des hommes, c’est-à-dire de la vie… » Certes,ce tte distinct ion intransigeante peut paraître arbitraire, niais ce qui ne l’est pas c’est l’application que ilirbeau en a faite. Aussi ne manqua-t-il pas de dénoncer les incertitudes des critiques surannés qui, n’ayant su se plonger dans la vie, jugeaient d’une oeuvre présente par des comparaisons avec celles du passé, « Un critique. écrit Mirbeau, entre dans une salle où sont exposés des tableaux de M. Camille Pissaro, Il regarde, va de l’un à l’autre, s’étonne, se recule, se tàte : « C’est peut-être très bien! » se dit-il. Tout à coup il s’arrête, perplexe, hésite, se renfrogne et, scrupuleux, « objecte : « Et si c’était très mal!… Est-ce très bien ? « Est-ce très mal ?… « Comment puis-je le savoir ? » Et « s’effarant entre ces deux possibilités, comme il ne possède, sur cette déroutante peinture, aucune opinion « sérieuse et préalable, comme, d’autre part, il ne peut « fouiller en d’antiques archives pour y découvrir des « critiques raisonnées… il se tait. » Chez Mirbeau, aucune hésitation. Et bien des peintres enflammés au contact des techniques nouvelles qui croyaient incarner l’idéal de Mirbeau, une fois devant le laitre, se sont entendu dire ces paroles implacables : Vous ne faites pas de la vie, vous êtes loin de la nature… Vous aviez cru ?… Ah!… Mais c’est plus difficile, plus profond que cela ne paraît être… » * * Dans quelques jours, les toiles que Mirbeau avait réunies avec une joie fiévreuse seront vendues chez Durand-Ruel. Mme Octave Mirbeau s’est décidée à ce grand sacrifice afin de pouvoir, dès à présent, dédier à la mémoire du Maître une oeuvre dont l’idée généreuse et charmante l’eut certainement ravi. Elle a imaginé de transformer sa propriété de Cheverchemont de telle sorte que plusieurs artistes — aussi bien écrivains que peintres, musiciens et sculpteurs, — puissent y passer quelques mois de vacances. Dans l’admirable site, à proximité des Bois de l’Halai’, à cinq cents mètres de la Seine, à dix minutes des forêts de Verneuil et de Vernouillet, ils pourront travailler une partie de l’année dans un logement agréable, ayant à portée de leur main une bibliothèque nombreuse, un potager abondant, des fleurs et des arbres fruitiers. C’est pour permettre cette fondation d’inspiration si délicate que les Van Gogh, les Pissaro, les Monet, les Cézanne, les Rodin, les Maillol, les Renoir, vont être, une fois de plus, consacrés par le cri des enchères. Et il est étrange que ces oeuvres dont la carrière fut si longtemps scandaleuse, servent aujourd’hui de base à une oeuvre sociale de repos et de paix. Elles devaient bien ce retour à la mémoire de Mirbeau. Et leur patronage a quelque chose de divinement symbolique. Pour ma part, je vois entrer de tous côtés, par les portes et par les fenêtres, dans la joyeuse mai-son de Cheverchemont, le tribut de reconnaissance des RENOIR. – TORSE NU.