52 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE conviction qui s’affirme. Son système découle de ces observations. Il décrit le moins possible. Il n’ex-plique pas. Il se borne à crier : « C’est beau ! » Si on résiste, il crie: « C’est for-midable, nom de D… ! » Et si après cela un profane persiste à souiller le chef-d’oeuvre de son sourire sceptique, Mirbeau consi-dère qu’il a sur lui les droits d’un être humain sur une bête malfaisante. Il se pré-cipite, lui brise sa canne sur la tête et, le lendemain, se bat en duel avec lui. Mille experts assemblés, dissertant sur Maillol, n’au-raient pu faire pour ce grand artiste ce que fit Mirbeau, presque en un jour, en jetant sur la foule quelques affirmations fou-droyantes. Car la foule n’a pas besoin de comprendre. Elle a besoin de croire et à force de croire elle finit par comprendre. L’influence de Mirbeau sur notre époque a donc été immense. Il a formé un goût, bien plus il a éduqué notre vision. Grâce à lui nous voyons Cézanne et Rodin et le fait de voir Cézanne et Rodin n’est pas seulement un événement d’art, c’est un phénomène naturel. Car il implique une évolution de nos sens et de notre esprit, une pénétration plus profonde dans la nature et dans la vie. Pour cet énorme projet il fallait l’homme unique, à la fois puissant et agressif comme un fauve, impres-sionnable et séduisant comme une vierge, que fut Octave Mirbeau. Ceux qui l’ont vu, il y a quelques années, entrant dans une salle d’exposition, les épaules en avant, les poings serrés, les sourcils tumultueux, entouré d’ar-tistes, de disciples, de reporters, savent qu’à peine entré dans cette salle, il en prenait possession de haut en bas. Elle n’était plus à personne, elle était à lui, rendue au prestige de sa force et à l’attrait de son génie. Maître absolu, arbitre, il était celui qui peut élever la voix. Au milieu de la salle, désignant de sa canne les toiles pré-férées, il disait : — A la bonne heure! C’est de la peinture! C’est de la vie ! Ce n’est pas de la pommade pour les coiffeurs comme en font M. Gent , M. Rochegrosse, M. Dagnan-Bouveret, M. Carolus Duran… Les noms sonnaient l’un après l’autre pour former, k/ANN1._ LE rix.mul< A LA LIGNE. une fois sortis de sa bouche, d'errantes et funèbres théories. Son admiration était donc active et véhémente. En outre, elle était primitive parce qu'elle était bâtie sur cet étonnement naïf, sur cet émerveillement sublime dont naissent les dieux avec leurs cultes. Mirbeau était stupéfait devant les peintres, devant les sculpteurs, et il voulait qu'on le sut. Pour qu'on le sut, il tirait de son coeur généreux des cris semblables à celui-ci : « C'est un miracle, c'est presque un paradoxe que l'on puisse créer avec de la pète et de la toile de la matière impalpable, emprisonner du soleil!... « Et à qui s'étonnait de tant de simplicité, il répondait : « L'admiration n'est pas, comme le croient les sots orgueilleux, une servilité, mais bien une fraternité de l'esprit. » Ainsi Mirbeau, exprimant son enthousiasme, respectait ou plutôt suivait d'emblée les plus pures traditions françaises. Il admirait avec brio, avec esprit, avec inso-lence. Ses goûts auraient pu s'exprimer d'un accent pacifique, mais ce pacifiste fervent les exprima comme on déclare une guerre pour se créer l'occasion d'être brave. Et il fut brave, il posséda dans la bravoure ce panache dont Rostand était si fier pour la France. Cependant, il ne faudrait pas croire que Mirbeau courageux, ardent, protégeât, de même qu'un chevalier aventureux, quiconque lui plaisait, sans reconnaître d'autre loi que celle de ses impulsions. Lorsque ses magnifiques articles sur l'art seront réunis, ce qui main-tenant ne tardera pas, on sera étonné de co FIND ART, DOC 1 1