MIRBEAU CRITIQUE D’ART ET COLLECTIONNEUR •>):à) ,:;* %cg 0 . (lisait à Mirbeau — Cette tête (le Cézanne est admirable. Il répétait : Cette tête ? Et les reins tendus dans son immense fauteuil, le buste en avant, les mains agrippées aux accoudoirs, il lançait ;I la toile qui vivait avL, lui depuis des années, un regard de défi, la scrutait comme s’il ne l’avait jamais vue jusquè-là… Puis l’étreinte de ses doigts se desserrait, sa physionomie se rassérénérait et il murmurait avec une émo-tion très digne, très discrète — Oui, elle est belle. C’est que Mirbeau n’est jamais parvenu à porter sur les oeuvres qu’il aimait, des appréciations réduites à l’état de formules. Dès qu’on les mettait en cause, son coeur se gonflait et ses nerfs s’irritaient. Il faisait repas-ser devant lui la toile ou la statue, l’épousait à nouveau et il ne s’apaisait que sûr, une fois de plus, de sa beauté. — Vous ne l’avez pas connu Cézanne, me disait-il… Et vous n’avez pas connu Pissaro, ni Monet avant la gloire, ni Rodin avant… les duchesses… Moi, je les ai connus, je les ai vus ensem-ble, et ce sont tous des gé-nies… comme Rembrandt ! Peintres et sculpteurs ont occupé une place immense dans la vie de Mirbeau. Le souvenir de ses promenades avec Monet, de ses repas avec Pissaro peuplait son cer-veau d’images ineffaçables. Il prétendait qu’à côté de ces amis sublimes, plus grands que lui de mille coudées, il ne savait dire que des sottises, tant étaient merveilleuses les moindres paroles qui leur tombaient de la bouche. Croyez-moi, poursuivait-il… Les peintres sont des hommes qui ont saisi dans la vie des vérités étonnantes .. Et savez-vous ce qu’ils en font de ces vérités éton-nantes ? Ils les gardent pour eux-mêmes !… Un jour, par hasard, ‘ils vous en expliquent une, tranquillement.. et vous restez abasourdi ! Sa personnalité sort ait bousculée, étourdie par les heures exaltées passées autour d’un chevalet et d’une palette. Il y eût des moments où il ne pensait plus ne sentait plus, ne vivait plus qu’à travers le soleil et les couleurs d’une toile décou-verte au fond d’un atelier ; il y eût des nuits où ce grand homme, courant le long des quais, songeait qu’il n’était qu’un pauvre diable, qu’il avait gâché son existence et qu’il n’était pas digne de cirer les pantoufles de Cézanne. Ce fut une crise longue et violente dont témoignent ses contes sur Kariste et dont il perce quelque chose dans le Calvaire quand l’au-teur parle de Lirat. Un moment même, il con-çut, en pleine gloire, ce pro-jet : renoncer à écrire, pren-dre le pinceau et rattraper le temps perdu ! Quelques toiles étranges ont survécu à cette résolution fougueuse. Monet les jugea belles,mais, heureusement, Mirbeau en fût déçu. Il lui fallut donc continuer à écrire ! C’était, n’est-ce pas, un pis-aller, une honte, une abomination ! Mais comment l’éviter quand on ne savait pas faire autre chose ?… 11 racontait cela. On souriait Puis on s’aventurait à dire: — Vous haîssez les écrivains alors que vo CÉZANNE. – LE BAIN. FIND ART DOC