10 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE par devant, ainsi qu’aux épaules et aux poignets, d’une fourrure fine, légère, dont on croit voir frissonner le duvet lustré. Ce manteau est un prodige du crayon. Les plis, les cassures de la soie, ouatée d’une doublure moelleuse, les manches qui, de leur souple tiédeur enferment le bras dont elles suivent la forme, et cette fourrure si extraor-dinairement rendue, tous les détails sont des trésors pour l’oeil ébloui par un art miraculeux. Un brin de mine de plomb, quelques centimètres de papier, et voici le chef-d’oeuvre ! On contemple, on s’en-chante, on n’en revient pas. Et encore n’avons-nous pas décrit les deux mains — on sait ce que sont les mains dans les por-traits de Ingres. — l’une tenant, sur une table, un livre entr’ouvert, l’autre chiffonnant un mouchoir. Un décor plus complet qu’il ne s’en rencontre généralement dans les portraits dessinés du maitre, encadre l’adorable figure. C’est la table, avec son tapis aux plis tombants, un fauteuil d’où la jeune femme, qui lisait, vient de se lever tout naturellement. Dans le fond, quelques traits indiquent la draperie d’un rideau. Le portrait de lady Cavendish Bentinck peut supporter toutes les com-paraisons, et même avec l’extraordinaire Mme Des-touches, qui est au Musée du Louvre, et qui, d’ailleurs, porte la même date. Ingres a fixé d’un mot le souvenir de cette période de rude labeur où il lui fallait dessiner pour quelques louis, ces portraits maintenant fameux. Sur l’un de ses précieux cahiers, où il dressait la liste de ses oeuvres, il note : « Une quantité immesurable (sic) de portraits dessinés d’Anglais, de Français et de toutes les nations (r). » Que sont devenus tous ces « portraits d’Anglais » ? On en rencontre quelques-uns dans les collections françaises, mais les expositions d’art en Angleterre comrpençent à faire sortir de leurs cachettes les dessins de Ingres conservés encore dans les familles des modèles ou recueillis par des amateurs avisés (I). il faut souhaiter qu’un jour vienne où l’un de nos con-frères anglais se passionnera pour le problème : nous avons la conviction qu’il n’y perdra ni son temps ni sa peine. Un travail sur les dessins de Ingres d’après les familles anglaises qui fréquentaient Rome sous la Res-tauration présenterait le plus vif intérêt. Nous offrons volontiers notre concours à qui voudra l’entre-LORD ET LADY CAVENDISH BENTINCE. – MINE DE PLOMB. (COLLECTION 11(IN A L (t, Voir notre livre : Les Dessins de J. A. D. Ingres au Musée de Montau-ban, in-folio, 1901, p. 248. prendre, en Angleterre même. Le sujet est plus ample qu’on ne l’imagine. Rappelons que, en 1815 Ingres dessina un projet de tombeau pour lady Montague (miss Bedford), fille du duc de Manches-ter, qui venait de mou-rir à Rome, à l’âge de vingt ans. C’est en 1815, également, qu’il lithogra-phia les membres de la famille Douglas-Glenber-vie. L’un des membres de cette famille, lord Glenbervie, fut le pre-mier Anglais qui posa devant Ingres : il lui amena « toute l’émigra-tion anglaise (2) ». Qui nous révélera la correspondance de Ingres avec ses modèles anglais ? Qui donnera l’inventaire de ses modèles anglais ? L’acquisition prodigieuse faite en Angleterre par M. Édouard Jonas du portrait de lady Cavendish Bentinck, — de la famille des ducs de Portland, — mariée à dix-huit ans au futur gouverneur général des Indes (3), prouve à l’évi-dence que des surprises agréables sont réservées à qui voudra entreprendre cette tâche et la poursuivre avec obstination. HENRY LAPAUZE. (I) Voir notamment, The Burlinglon Magasine, juillet 1913, août 1918. On y trouvera le groupe charmant formé par Harriet-Mary et Catherine-Caroline, filles du sixième conte de Sandwich 08’5), ainsi que les portrai de Charles-Robert C,ockerell et de ses deux amis Linck de Wurtemberg e le baron Stackelberg (1817) avec dédicace à Cockerell et à la femme d celui-ci, ce qui indique le don gracieux par Ingres de son oeuvre. (a) /tigres, loc. cil., 574. (3) Elle mourut en 1843. FIND ART, DOC