LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE La pureté de type de ce ravissant éphèbe contraste avec la physionomie plus massive, plus matérielle du courtisan. Au contraire, Jehan de Chaugy apparaît plus grave, plus recueilli, on dirait presque plus rêveur que son fils. C’est non seulement quant au costume, mais quant à l’expression , une autre génération. tandis qu’au contraire, entre la mère et la bru, nous verrons tout à l’heure des affinités plus étroites, et pour tout dire, plus harmo-nieuses. Seule la bouche ferme, aux coins tombants, donne le caractère de famille, Admirable tout autant que le saint Michel est le saint Jean-Baptiste assis-tant « le sieur et père ». Ti nous attire par son singulier caractère de sauvagerie à la fois et de mansuétude, Par une disposition qui n’est pas très générale dans les oeuvres anciennes de ce genre, les deux épouses des donateurs sont accompagnées, non de saintes portant leur nom, mais de patrons mâles : saint Laurent pour Laurette de Jaucourt et, pour Guillemette de Mon-tagu, un étrange personnage, mi-ermite, mi-guerrier, que M. Jeannez suppose ingénieusement être le Guillaume duc d’Aquitaine qui, partisan de l’anti-pape Anaclet, fut converti par saint Bernard. Quoiqu’il en soit, ce rude assistant est une création rare et des plus originales, au point d’attirer l’attention au détriment du beau saint Laurent si mélancolique et si digne dans sa belle dalmatique rouge brodée. d’or. Mais il semble que tout spectateur sen-sible sera, avant tout, profondément touché par les « donatrices » elles-mêmes. Est-il rien de plus simple, de plus in-tense, de plus profondément religieux que ces pieuses dames, avec leurs grandes coiffes, leurs robes unies de satin bleu, tout absorbées dans leur oraison ? Cela atteint toute la force et toute la douceur des Memling, des Van Eyck, des Van der Weyden. Attendez encore un siècle ou deux, et vous retrouverez cette puissance expressive dans les dames jansénistes éma-ciées et si pâles du grand Philippe de Champagne. On n’en finirait point d’énumérer les aspects intéres-sants de cette grande oeuvre : rien que les paysages accidentés et charmants vaudraient une étude spéciale. Mais il faut conclure, malgré l’envie d’ajouter encore bien des détails. Nous avons fait allusion à l’auteur possible, probable même du retable d’Ambierle. Il y a des témoi-gnages précis des rapports entre le sire de Chaugy et Rogier Van der Weyden ; de plus, le retable a plus d’un trait de parenté avec les célèbres peintures de l’hospice de Beaune. Mais si les auteurs de ces deux oeuvres devaient être un jour disjoints, tout à fait imprévu, ou que celui d’Ambierle se révélait même demeurait à jamais LAU RETTE DE J AUCOU RT. (DÉTAIL DU RETABLE.) inconnu, on n’en éprouverait pas moins de joie à méditer sur son travail admirable, qu’on n’en ressent en lisant le théâtre de Shakespeare, quand on nous démontre qu’il est de Bacon, de Stanley ou de lord Ruthven. Qu’il nous suffise, pour aujourd’hui, d’avoir essayé de remettre en lumière un de ces chefs-d’oeuvre inconnus dont fourmille le pays de France… qui ne l’est pas moins. ARSÈNE ALEXANDRE.