4 L’ARCHITECTE aux plans rigides du style Louis XVI. Le décor est moins abondant, moins coloré, mais il gagne en pureté, en élégance, en distinction. On en jugera ici par les façades d’habitations particulières que nous donnons. Ces échantillons typiques, mais très différents, témoignent de la personnalité de leurs auteurs. Avec ses pilastres, l’hôtel de Poissac a une certaine gravité atténuée pourtant par les gracieux médaillons des allèges (Planche VI). Nous n’en connaissons pas l’architecte, mais par analogienous l’attriburions volontiers à Bontin qui tel vers le même temps l’archevêché (aujourd’hui Hôtel de Ville), et cffii devait élever un peu après le bel hôtel de Lisle-ferme (aujourd’hui Musée d’Histoire Naturelle). L’auteur du majestueux hôtel Piganeau est connu: c’est Lhote, qui fut attaché par Louis son agence du Grand Théatre. Ici, l’influence du maitre est cer-taine (Planche V). Toutefois, ce ne sont pas les cons-tructions exécutées par Louis à Bordeaux qui sem-blent avoir séduit Lhote, mais bien plutôt, a ce qu’il nous semble, les galeries du Palais-Royal à Paris. Lhote est aussi l’auteur de cet hôtel Journu, cours du Jardin Public, que Louis appelait le « bijou de Bordeaux a. Cette construction a malheureusement été surélevée. Certains attribuent à Louis le joli pavillon de la rue Saint-Laurent, qui se trouve ici reproduit; d’autres assurent qu’il l’habita. Ces deux affirmations sont peut-être fantaisistes, mais la construction est char-mante. (Fig. 3). On jugera encore de la perfection décorative des logis bordelais en examinant la délicieuse façade d’une maison de la rue Palais-Gallien, logis bourgeois sim-plement, dont nous donnons l’ensemble et des détails, notamment la frise qui court au-dessus de la porte d’entrée. (Planche IV, fig. t et e). Où trouver un parti mieux équilibré, plus clair, et une ornementation plus pure? On lui reprocherait presque de paraitre un travail de ciselure, si l’on ne savait qu’il s’agit là d’une pierre très belle, d’un grain serré, qui a per-mis à l’outil du décorateur toutes les délicatesses. Pour donner une idée complète de l’habitation privée à Bordeaux au xv…° siècle, il aurait peut-être fallu reproduire aussi certains des petits logis du cours d’Albret auxquels nous avons déjà fait allusion: celui du n° 79 avec son médaillon central et sa frise de chiens-courants; celui du re 55 avec une frise qui, sous le clair soleil, apparaît délicate comme une valenciennes; celui qui fait, un peu plus haut, le coin de la rue Henri IV et dont les allèges sont semblables aux morceaux décoratifs de l’hôtel Piga-neau. On aurait également pu faire une riche moisson aux Chartrons, dans les rues Borie, Cornac, ailleurs encore. Et, dans un autre ordre d’idées, s’ils n’étaient pas si sobres de décoration extérieure, si modifiés par-fois après coup, on aurait aimé à donner les hôtels construits par Louis, — bien authentiquement de lui — hôtels Saige (Préfecture), Legrix de La ‘Salle, mai-sons Gobineau, La Molère,Fonfrède, celle-ci si célèbre par son escalier en spirale, une merveille, au sujet de laquelle Bernadau, déjà cité, conte cette anecdote «Un étranger, qui l’avait visité, désirait écrire au propriétaire. Comme il voulffit le distinguer des autres négociants qui portaient le même nom, et qu’il ne se rappelait pas le nom de la rue qu’il habitait. il mit bonnement sur l’adresse de sa lettre A M. Fonfrecle ‘sur S. bel escalier, à Bordeaux. » (I3ernadau, Tableau de Bordeaux, .8.o.) Il aurait fallu aussi penser au chàteau de Peychotte à Talence, si harmonieux de proportions. Mais le nou-veau propriétaire a cru pouvoir le surélever d’un étage qui en modifie le caractère. Cependant, que sont ces logis où Louis a montré sa science et son goût à côté du Grand Théâtre, son œuvre immortelle! Cette œuvre là est certes connue. Des générations d’architectes ont accompli vers elle un pieux pèleri-nage. Charles Garnier s’en est inspiré, et, grand artiste, riche de talent, il a eu la coquetterie de dire lui-même combien il avait d’obligations à Louis. Dès 178z, celui-ci avait publié une monographie in-folio de son chef-d’œuvre, qui a donné lieu à maintes pu-blications durant le xœ° siècle. Récemment deux de nos collaborateurs, MM. Paul Guadet et H. Prudent ont également témoigné de leur admiration pour Louis clans l’étude qu’ils ont publiée sous ce titre Les salles de spectacle cons. truites par Louis à Bordeaux et à Paris (in-4° .9o3). Il y a deux ans, M. Prudent a d’autre part carac-térisé ici même l’œuvre de Louis. (L’Architecte, avril 4906.) Mais si tout constructeur connai t la signification du Théâtre de Louis, peu seulement l’ont étudié sur place. Les belles et fidèles planches qui accompagnent ce texte seront donc une révélation pour beaucoup (Planches II, III). Il faut ajouter que le photographe, M. Chevojon, a prouvé ici son sens artiste. en choi-sissant avec un rare bonheur les parties propres à donner l’expression du monument. Voyez, par exemple, la perspective des paliers du premier étage avec leurs dômes appareillés, n’a-t-on pas immédiate-ment la vision nette, précise du parti adopté? Cette perspective du premier étage n’est-elle pas un Pira-nèse, un Hubert-Robert? Avec ceci en plus, que ce n’est pas là songe d’artiste, mais architecture vraie, solide, logique. Nous avons visité longuement le Grand Théâtre, le jour et le nuit. L’effet est autre selon l’heure, mais la logique de son ordonnance est frappante dans les deux cas. Toutefois c’est surtout aux lumières que l’on distingue le parti de la distribution, les trois sec-tions nettement accusées salle de spectacle, grand escalier, foyers. Quoique l’on passe facilement de la