L’ARCHITECTE l’ouverture en anse de panier des anciens chais, au moyen d’arabesques de fer encadrant le chiffre du propriétaire ingénieusement combiné dans un ovale. Les ferronniers semblent avoir été, à Bordeaux, une corporation particulièrement active et jalouse de per-fection, ainsi qu’en témoignent les chefs-d’oeuvre des compagnons conservés.à la maison Careire. Les travaux des sculpteurs sur bois ont une supé-riorité égale. Naturellement ils s’inspirent des motifs courants, de ceux que leur offrent les beaux recueils d’ornements que les graveurs multipliaient à cette époque. Ce sont, comme ailleurs, des mascarons, des chicorées, des attributs champêtres, des instruments de musique; plus tard des guirlandes de roses, de lauriers, des griffons et toutes les fines arabesques exhumées à Pompéi’. Mais cela est traité avec une élégance, une sûreté d’outil qui est une joie pour les yeux, pour l’esprit des gens de goût. Ces sculpteurs sur bois étaient-ils des ouvriers spéciaux? Quelquefois. Mais bien souvent la pratique de la pierre et la taille du bois étaient demandés au même artiste. Ainsi arrivait-il à Cabirol qui ouvra-geait la pierre des frontons du nouveau palais archi-épiscopal (aujourd’hui Hôtel de Ville) et décorait les trumeaux, les corniches, les lambris des salons inté-rieurs. Notons en passant que les lambris& certains inté-rieurs bordelais sont en acajou massif. La gouge pénétrait dans ce bois au ton chaud et faisait surgir de hi matière une décoration vivante et souple où les jeux de lumière produisaient tout leur effet, On trouve aussi à Bordeaux de grandes armoires à linge, véritables monuments également en acajou massif, dont le fronton, sous Louis XV, s’anime d’un vivant tnasque au beau modelé, et, sous Louis XVI, de guirlandes de roses si souples avec leur tonalité l’ose-rouge qu’elles semblent faites de cire malléable, C’est qu’en ce siècle heureux, Bordeaux fut par excellence le grand dépôt des bois des îles. Son port recevait la presque totalité des importationsdes grandes Indes Saint-Domingue, la Martinique, la Guade-loupe. Des billes des bois les plus excellents ou rares s’accumulaient sur les quais de Bordeaux, et, vu la modicité du prix du fret, étaient revendues avec une majoration des plus légères. D’où cet emploi des essences rares pour la décoration intérieure ; d’où aussi ces meubles en bois massifs ou plaqués de mar-queteries supérieures qui se rencontrent encore à Bordeaux et dans la région du sud-ouest, malgré l’exode que leur ont imposé depuis quelques années les marchands de curiosité. Mais ce n’est pas aujourd’hui que nous franchirons le seuil des logis pour inventorier les richesses qui s’y accumulent. Nous passerons seulement en revue quelques façades, et nous nous attarderons au Grand Thatre, construction-type inégalée, merveille de Bordeaux, chef-d’œuvre de Victor Louis. Bordeaux est une ville Louis XV et Louis XVI. Sa transformation s’est accomplie en cinquante ou soixante ans. Elle ne remonte pas au delà de /730, et se termina aux environs de 1790. La Révolution et les guerres de l’Empire n’étaient pas faites, on le comprendra, pour perpétuer la prospérité dans une ville dont la condition de vie était basée sur les bénéfices retirés des importations et des exportations qui ne donnent leur maximum qu’en temps de paix. Notons toutefois que l’école de constructeurs et de décorateurs formée par le ust siècle fut assez puissante et féconde pour résister à tous les contre-temps. Nombre des habitations élevées à Bordeaux durant le xtx’ siècle conservent dans leur parti et leur décoration le caractère et l’esprit du xyltd siècle. D’autre part Bordeaux, il y a peu d’années encore, donnait à la France des ornemanistes joignant l’habileté courante un goût exceptionnel. La transformation de Bordeaux est l’œuvre de Louis-Urbain Aubert de Tourny, intendant de Guyenne. Il entra en fonctions en 1743 et quitta Bordeaux en 1757, en lançant aux bordelais qui lui reprochaient les dépenses occasionnées par les travaux qu’il avait ordonnés : « Vous me maudissez, tuais vos enfants mue béniront s. C’est M. de Tourny qui fit d’une cité irrégulière, resserrée entre des marécages qui s’interposaient entre les quartiers du centre et d’importants fau-bourgs, une ville spacieuse, moderne, baignée d’air et de lumière, dont les avenues et les larges voies sont bordées de constructions vastes ou modestes, Mais toujours recommandables par la justesse de leurs proportions et la délicatesse de leur ornemen-tation. Car ceci est à noter : à côté des r.moo mètres de quais aux belles façades régulières, à côté des hôtels des riches armateurs, il est de petites demeures présentant deux étages élevés sur rez-de-chaussée, éclairées de trois fenêtres à l’étage, qui. par leurs heureuses proportions, la pureté de leur décoration, sont de véritables bijoux architecturaux. Nous signa-lerons entre beaucoup d’autres une petite maison du cours d’Albret, portant le .79. M. de Tourny opéra cette transformation contre la volonté des bordelais, malgré un mauvais vouloir étroit qui ne justifiait même pas la question d’argent. A propos des façades élevées sur les quais, Bernadau, l’un des premiers écrivains bordelais qui ait rendu justice à M. de Tourny dès la fin du xmm^ siècle, rappelle que M. de Tourny n’éprouva que des refus lorsqu’il proposa aux propriétaires des terrains des quais de bâtie à leurs frais les façades nouvelles, ou bien s’ils ne le pouvaient, de lui vendre leurs terrains pour permettre d’élever ces façades. Alors, ajoute Bernadau, l’intendant leur déclara que, puisqu’ils étaient assez ennemis de leurs intérêts pour se refuser coopérer eux-mêmes à la construction d’une façade, que le bien public commandait, il