Si elle n’eut pas grande influence sur les palettes, qui continuèrent à peindre des plafonds ou des scènes de batailles quand on leur en commandait, elle contribua à fausser le jugement des critiques et des amateurs bien au delà du temps où fleurit le Cénacle. Au xxe siècle, personne ne se demande, dans l’avalanche d’expositions qui précipite chaque année sur le marché cent mille tableaux, comment l’oeuvre d’art prendra place dans un ensemble de meubles, de tentures, d’appareils d’éclairage, dans le jour artificiel d’un appartement mo-derne. Le divorce de la peinture et de l’architecture est radical. On en arrive à ce résultat lamentable qu’on ne trouverait peut-être pas vingt peintres susceptibles d’entre-prendre une grande décoration murale et encore moins de concevoir un bon carton de vitrail ou de tapisserie. Ceci, certainement, les Romantiques ne l’ont pas voulu. Nous voici maintenant mieux armés pour reviser la notion de la création artistique affranchie de toute fin utile. Et nous arriverons à ce résultat curieux, c’est qu’en proclamant une doctrine qu’il jugeait révolutionnaire, le Cénacle n’a fait qu’enregistrer, un peu à l’avance peut-être, l’aboutissement d’un courant, dont il est facile de suivre la direction à travers les siècles. Le principe de cette évolution, c’est qu’au cours du temps l’art perd son utilité pour devenir une activité désintéressée, un jeu. Ainsi, la courbe élégante du col d’une aiguière, la cambrure de son anse, nécessitées par un besoin pra-tique, peuvent devenir un ornement purement esthétique. Depuis les effigies d’animaux, que traçaient les paléo-lithiques pour assurer leur nourriture par une incantation magique, depuis le réalisme des portraits égyptiens des-tinés à garantir au double une ressemblance parfaite avec le défunt, la peinture et la sculpture n’ont cessé d’évo-luer vers l’inutile. Reste à savoir si cette activité de luxe n’a pas aussi sa finalité et si elle ne s’adresse pas à des besoins plus élevés, moins terre à terre que ceux qui ont présidé à son origine. En diminuant d’importance matérielle, la peinture, la sculpture s’épurent et s’ennoblissent. Leur stade su-prême sortira peut-être du Cinéma, de tous les arts le plus immatériel, celui qui fait le plus appel au sentiment désintéressé, à l’émotion, au rêve. LE MATAMORE MAUCLAIR CONTRE L’ART FRANÇAIS par WALDEMAR GEORGE A l’occasion d’une belle exposition d’art français à Zagreb, M. Camille Mauclair s’efforce de compromettre, aux yeux du public yougoslave, artistes et organisateurs. Il ne se borne pas à publier à Paris un article calom-nieux qui décèle un esprit provincial et primaire. Il l’adresse à ses amis croates. Un tel stratagème nous donne des haut-le-cœur. Il dénote un manque de loyauté et d’élégance morale qui classent l’homme, l’écrivain. Mais quels sont les griefs formulés par l’ineffable Mauclair ? Le choix des peintres ? Dans l’ensemble, ce choix est objectif. Il embrasse les principaux courants de la peinture française. On ne peut décemment qualifier d’entreprise subversive une manifestation où figurent Pierre Bonnard, Maurice Denis, Camoin, Laprade, Al-bert Marquet, Signac, Luce, Waroquier, Moreau. Dans ses grandes lignes, l’exposition de Zagreb réalise un programme impartial. Son objet a été de résumer les principales tendances de la peinture française, ce langage quasi universel, dont Mauclair, qui confond les fauves et les cubistes, ignore le premier mot. Gromaire, Rouault, Vlaminck, Soutine et Utrillo y représentent un art d’ex-pression dramatique teinté de s populisme » ou orienté vers l’idéal gothique. Les oeuvres de Matisse et de Raoul Dufy incarnent un idiome pittoresque exclusivement tonal. Leurs tableaux sont des « fictions visuelles », des fictions polychromes, riches, voyantes, bigarrées, comme des mosaïques et comme des tissus coptes. Friesz, Dufresne, Derain! Un grand coloriste de filiation baroque, un ima-gier que hante le souvenir de Rembrandt, un classique, dont les maîtres sont Poussin et Corot. Picasso, Braque, Léger, Ozenfant, Jean Lurçat, André Lhote I Des jeunes, des métèques I Allons donc ! Je ne ferai pas l’injure au public yougoslave de tenter une « réhabilitation » de ces peintres qui tiennent dans l’art moderne un rôle de premier plan, dont les tableaux illustrent les musées et les grandes collections d’Europe et d’Amérique, dont l’influence esthétique s’exerce aussi bien en France qu’à l’étranger. Il FIND ART DOC