plus, une fois que sera faussé son instrument, et altéré son personnage par l’industrie de ses meilleurs avocats. A ce sujet, nous avions eu de courtoises mais âpres discussions. Il excipait du cas de Rodin, au-dessus duquel il se plaçait, tout en rendant hommage à ses dons — et se plaisait à se croire sous-estimé en son pays. Heureusement les élus du peuple, ceux qui distribuent les commandes, restaient timides et hésitants à son égard ; sans quoi il eût plus tôt succombé à la tentation de surproduire. Sa facilité et l’or-ganisation dispendieuse de ses services, la qualité de ses élèves, tout l’y aurait amené, malgré ses nobles aspirations. Sa « documentation s, comme il disait, si n’avait suffi sa mémoire visuelle, dès qu’il regardait un modèle vivant, lui indiquait le type correspondant dans un ouvrage an-tique ou ancien. Il s’était fait une technique et un code de la stylisation, comme en témoignent ses bustes. Son système comportait deux phases dans l’exécution : la première, quasi mécanique, la prise de mesures, la recherche des plans, dont le résultat doit être la ressemblance mathéma-tique. Rien à négliger, en cette étude préliminaire au chef-d’oeuvre. Je crois que si la Plasto Auber avait été déjà inventée (qui causera la ruine des modeleurs de bustes, comme la photographie a supplanté la peinture de por-traits), Bourdelle en aurait tiré parti. La seconde phase n’était plus que déformation raisonnée, stylisation, hé-roïsation des éléments de nature. En cela, il se montrait bien « modernes ; voir l’Anatole France, masque académi-quement recréé selon un canon que l’auteur croyait anti-académique. L’erreur de ce système d’interprétation, commune à la majorité des peintres et des statuaires, se trahit avec d’autant plus de netteté chez Bourdelle, qu’il a plus d’adresse, plus de talent, de science, pour cacher l’artifice. Il me disait : « C’est dommage que Maillol ait un faible métier s, parce que lui, Bourdelle, se sentait capable de rivaliser avec ses maîtres préférés. Quant à la stylisation, il ne reculait pas, pour y atteindre, d’employer même l’imagerie d’Épinal, les statuettes populaires de foire, en porcelaine, pour donner du piquant à un uniforme militaire. Je pense au général Alvear. Et cette figure équestre, qui veut avoir la naïveté d’un bonhomme de pain d’épice et à la fois le plus grand style, caracole sur un socle que flanquent des cariatides gréco-égyptiennes d’un galbe très archaïque. L’ensemble impressionne le public qui passe ; mais s’il est imposant, ce héros sud-américain, est-ce qu’il ne nous en impose pas un peu cyniquement ? N’est-ce pas la parodie du Grand Art ? Nous sommes loin du Coleone de Verrocchio. Pourquoi prétendre nous y faire songer ? C’est proprement le jeu connu de l’académisme, recommencé par les mains d’un moderne très intelligent qui a trop de références auxquelles recourir dans l’éla-boration d’une telle commande officielle. Je garde de Bourdelle une étonnante héliogravure qui le représente drapé comme d’un peplum, dans les vastes plis d’un raglan. La physionomie est inspirée, le regard extatique; et il pose pour le photographe devant une tête d’Hermès mi-cachée par un rideau de tragédie. Il m’offrit cette effigie éditée en Allemagne, afin qu’il n’y eût pas d’erreur sur ce qu’il m’avait dit tout bas, un peu en plaisantant d’ailleurs : « Je veux, Blanche, être peint par vous… sublime ! C’est que je venais de faire une esquisse d’après lui, tel qu’il s’était présenté chez moi, souriant, patriarcal, un brave méridional à la voix chantante, gentil, ironique, celui qu’un bref commerce venait de me révéler. Auparavant, je m’étais écarté de lui, par instinct. Or, je croyais m’aper-cevoir de l’erreur que j’avais commise. Mais le Bourdelle de la légende devant définitivement obnubiler celui qu’un instant je m’efforçai de voir comme un Frédéric Mistral de la sculpture. LA COLLECTION D’ART MODERNE DE M. GUALINO ET LA SALLE MODIGLIANI A L’EXPOSITION BIENNALE DE VENISE par LIONELLO VENTURI La collection de M. Riccardo Gualino à Turin a réuni en peu de temps si un grand nombre d’oeuvres de la plus haute importance qu’à l’heure actuelle elle dépasse nettement les cadres d’une simple galerie privée. Elle n’est pas seulement l’expression d’un goût cultivé et raffiné, mais encore une heureuse initiative qui a déjà exercé son 8 action sur la culture italienne. M. Gualino a élargi, peu à peu, le cercle de ses intérêts artistiques en passant des oeuvres d’art italien ancien à un champ plus vaste et plus actuel, des maîtres primitifs et renaissants à l’art oriental, à la peinture du )(le siècle, aux impressionnistes, à Spadini et finalement à Modigliani. De ce dernier, FIN AR DO