Grâce à l’esprit de vulgarisation, il aboutit rapidement au poncif. Le e dialecte » de Léger, cet idiome réputé hermétique, apparaît comme une langue écrite en chiffres intelligibles. Cette concordance parfaite d’une oeuvre avec son temps est un phénomène unique à notre époque. C’est un témoignage en faveur du pionnier qui assiste, témoin ravi et attentif, à la gestation, à la matu-ration d’une culture et d’un état d’esprit qu’il a pres-sentis et qu’il a devancés. Léger a rêvé d’un monde de fer, de quartz et de béton armé, d’un monde rectan-gulaire et rectalinéaire actionné par des moteurs puis-sants, mû par des forces aveugles. Il l’a vu sinon naître, du moins grandir et se cristalliser. Après en avoir pro-clamé la victoire, cet ouvrier féru de perfection, qui aime les matières brutes, qui les tâte, qui les palpe, qui les soupèse et qui les apprécie en connaissance de cause, ce visionnaire que l’éclat de la couleur enivre, tel un breuvage, a-t-il épuisé les joies sensorielles que dispense le spectacle d’un monde automatique, d’un art hygié-nique, d’un art antiseptique, d’un art chimiquement pur, mais vide d’humanité, de spiritualité ? Cette vacuité, cette vanité d’un style qui méconnaît le principe merveil-leux, divin, surnaturel de l’activité humaine, qui aboutit à une idolâtrie de l’objet et de la forme, considérée comme une fin en soi, le font douter de l’opportunité, de la réa-lité de son programme, de sa doctrine plastique. Puisse le doute fécond et salutaire, l’esprit critique et l’esprit d’examen orienter vers de nouvelles recherches cet inventeur qui a cessé de croire au règne de la machine Les dessins que nous reproduisons attestent son inquié-tude. Léger interroge et explore les matières. De la phy-sique il passe à la chimie. Puisse-t-il, un jour prochain, découvrir le sens méta-physique, le principe dualiste de l’univers I FAUTRIER OU DE LA PUISSANCE DES TÉNÈBRES par MARCEL ZAHAR Il me plaît d’imaginer que le premier tableau « important « de M. Fautrier représentait une surface d’un noir opaque. A peu près comme le monde sortit du chaos, l’oeuvre de M. Fautrier sortit des ténèbres ; ce fut une évolution sin-gulière et bieh digne d’intérêt. Donc, au commencement, régnait l’indescriptible ou plutôt l’invisible. Dans cet état absolu des choses, propice aux plus efficaces élaborations, vint à luire quelque lu-mière — assez falote d’ailleurs — dont le timide éclat permit à l’observateur de distinguer des paysages, des êtres et des végétaux. Les spectacles proposés étaient em-preints d’une philosophie amère, — triste, triste à pleurer, à désespérer de l’air, des vertus solaires ; mais les visions d’une essence lamentable et dramatique venaient d’une inspiration forte, conduite par un pur sentiment de dégoût de toute humanité. On vit des sangliers éventrés, écartelés, des moutons écorchés, des lapins aussi écorchés et pendus — aucun vent n’aérait ces dépouilles — et des peaux de lapins sur un rang qui séchaient sur fond de ténèbres. Ces échantillons exécutés en série ballaient dans le vide, et les bras ballants glissaient des représentations féminines ; elles avaient la peau calcinée, et le soufre était apparent sur les ventres gonflés et les seins en outre ; elles avançaient, redoutables, non point qu’elles parussent animées de dangereuses in-tentions, car de regard elles n’avaient pas et leurs formes étaient comme des gaines bourrées de son, mais par leur tournure elles rappelaient les corps flasques tellement suggestifs que l’on perçoit dans quelques cauchemars choisis. De quelles coulisses venaient ces créatures, de quels replis de l’inconscient ? Peaux de lapins, femmes empaillées — cruelles railleries — écorchements, pendai-sons, décollations aux oubliettes des abattoirs, rondes de fantômes — et dans cette obscurité ! Heureusement quelques bouquets volants brillaient. Des fleurs émanait une grande phosphorescence ; elles étaient enveloppées dans des cornets de papier qui faisaient office d’abat-jour. Mais je le dis bien haut. Ce peintre qui a traversé notre univers et, croyant que c’était l’enfer, s’occupa seulement d’en extraire les traits d’horreur, s’il avait le coeur angoissé, était soutenu par une immense volonté et servi par un talent original. Je ne pense pas qu’il faille ici broder sur l’esthétique. Le grand élan était venu des ténèbres, lesquelles peu à peu se dissipaient pour faire place à un brouillard. Dans une atmosphère de magie seules quelques créatures frustes, primitives, un peu ensorcelées, pouvaient évoluer. Sur un peuple cependant en bonne voie de métamorphose, se dressèrent des calvaires. Des Christs nantis de visages de braves bougres peinés de subir l’assassinat pour une raison majeure, tendirent sur les croix leurs corps grossièrement équarris. A la faveur des rédemptions, un peu plus de 5 FIND ART DOC