moins, et s’il se permet de défigurer ma pensée, il s’expose à une réclamation justifiée de ma part. Ou encore, un mécène a payé un morceau de sculpture. Par les temps où la sculpture mutilée est à la mode, il enlève au sujet un bras, un nez ou un morceau du crâne. L’artiste en est informé, s’irrite, intente un procès. Il doit le gagner. Cette reconnaissance d’un droit inaliénable, continuant à appartenir à l’artiste malgré la vente de son oeuvre, a d’abord paru extravagante aux gens imbus du caractère absolu de la propriété, mais elle était un prolongement si naturel, si équitable du droit d’auteur qu’elle a fini par conquérir l’opinion. Elle a triomphé lors de la Conférence diplomatique de 1928, à Rome, chargée de la révision périodique de la Convention de Berne sur la propriété littéraire et artis-tique. Les représentants des diverses nations civilisées se sont trouvés unanimes pour adopter un texte qui la consacre formellement et qui, lorsque cette nouvelle convention, ainsi revisée, aura été ratifiée par les Parle-ments, entrera dans la législation des divers pays. Cette convention n’a pas encore force de loi en Bel-gique. Elle ne pouvait donc être invoquée à Louvain que comme indication de l’évolution des idées en cette ma-tière et la question qui se posait à Louvain était celle de savoir si le droit moral ne dérivait pas nécessairement de la notion du droit d’auteur, reconnu par la loi belge du 22 mars 1886. Voici à quelle occasion. On se souvient qu’en août 1914 les Allemands incendièrent une partie de la ville de Lou-vain et notamment la fameuse bibliothèque de l’Université de Louvain. Le cardinal Mercier alla porter en Amérique, avec sa haute autorité, la protestation belge. Un comité se constitua pour reconstruire, aussitôt la paix venue, la cité des livres si fâcheusement détruite. A l’initiative de l’Institut de France, on choisit M. Whitney Warren, le célèbre architecte américain, pour dresser les plans de l’édifice nouveau. Ces plans, d’un beau caractère d’art que nul n’a jamais songé à contester, comportaient, au sommet du bâtiment, une balustrade dont les lettres constituaient l’inscription : Furore Teutonico Diruta, Done Americano Restituta. Les années passèrent. La construction s’éleva et fut solennellement inaugurée, mais sans la balustrade prévue. Mgr Ladeuze, le recteur de l’Université, s’était rendu aux observations du président du Comité américain qui jugeait l’inscription inutilement blessante pour les Alle-mands, de nature à donner une signification nationaliste à une université catholique (universelle) et à empêcher la venue des savants ou des étudiants germaniques. La question de droit important seule ici, je n’ai pas à rappeler les polémiques extrêmement vives que suscita en Belgique la décision du recteur. M. Whitney Warren s’estimant lésé dans son droit d’au-teur par l’inobservation des conventions avenues entre lui et le cardinal Mercier et par la défiguration de la signi-fication historique et spirituelle qu’il avait voulu donner à son oeuvre, assigna l’Université de Louvain. A l’occasion de ce procès, dont l’opinion suivit les débats avec passion, j’ai entendu discuter beaucoup le droit moral. La plupart l’admettaient sans grande difficulté pour les peintres, les sculpteurs, les écrivains, mais il leur semblait excessif de l’étendre aux architectes. Comment, disaient les propriétaires, il ne me sera pas permis de modifier la façade de ma maison ? En quoi ils exagéraient, jusqu’à l’absurde, la portée du droit au respect. Il faut l’entendre, non pas pour toute construction quelconque, mais exclu-sivement pour celles qui démontrent une création per-sonnelle, une valeur d’art. Mais qui appréciera ? Comme en toute matière, en cas de désaccord, des experts. Dans l’affaire de Louvain, il y avait d’ailleurs unanimité pour reconnaître que l’oeuvre de M. Whitney Warren était une oeuvre d’art. Dès lors, pouvait-on en modifier la significa-tion sans son consentement ? Le jugement a répondu : Attendu que c’est en vain que la défenderesse prétend qu’en tout cas une inscription ne ressortit pas au domaine de l’architecture et qu’elle ne saurait donc par sa nature même faire l’objet d’un droit quelconque dans le chef du demandeur » Qu’il échet de remarquer, au préalable, qu’il résulte de l’ensemble des éléments et documents de la cause que l’inscription litigieuse devait, dans l’esprit du demandeur, non seulement constituer un motif décoratif, mais surtout à l’édifice son sens spirituel voulu à l’origine par tous ceux qui avaient été chargés d’en préciser le symbolisme ; Qu’au reste, en vertu des accords définis ci-dessus, le demandeur a stipulé qu’il restait maître absolu de son oeuvre et que, dès lors, seul il juge de la nécessité de mainte-nir l’inscription pour la pleine réalisation de sa conception intellectuelle ; » Qu’à cet égard le demandeur s’est assuré convention-nellement les droits que l’article 8 de la loi du 22 mars 1886 reconnaît à l’auteur d’une oeuvre d’art en cas de cession de celle-ci aux termes du rapport fait à la Chambre des Re-présentants au nom de la section centrale par M. de Ber-grave : Toute modification, toute correction, si peu importante qu’elle soit, porte atteinte au droit de l’auteur dès que celui-ci ne l’a pas autorisée ”. M. Whitney Warren a donc gagné son procès. Le juge-ment de Louvain sera sans doute soumis à la cour d’appel, mais quelle que soit l’issue définitive de ce litige, il consti-tuera un document intéressant pour les défenseurs du droit au respect, spécialement pour les architectes. 19 FIND ART DOC