le dos au système périmé de la pinacothèque, ce tombeau de la peinture. Ceci dit, convenons que les expositions du Pavillon de Marsan et du Petit-Palais, si différentes soiert-elles, mettent en relief le principe unitaire de l’époque romantique. Le Petit-Palais, d’abord. Conquête de l’Algérie. Cette conquête qui fut elle-même le fruit de la poussée roman-tique vers l’Orient a eu pour résultat l’orientalisation de la peinture française, préparée, dès avant la prise de Cons-tantine, à recevoir la leçon de l’Orient. Quand les Romains colonisaient les peuples réputés inférieurs et barbares, ils laissaient dans les Gaules, en Afrique, en Asie, des traces tangibles de leur civilisation. Des temples, des aqueducs, des théâtres, des formes d’expression artistiques nationales fortement teintées de romanisme, témoignent de leur mainmise sur l’âme des indigènes. Il a fallu deux siècles ou davantage pour que Rome, par un choc de retour, subît la contagion, l’action des peuples conquis, pour qu’elle abandonnât sa primauté et sa suzeraineté dans le plan de l’esprit. Il ne viendrait sans doute à l’idée de personne de contester l’oeuvre civilisatrice accomplie par la France dans le Nord de l’Afrique. Il n’en reste pas moins que l’époque de la conquête est marquée par une recrudescence d’orien-talisme, de ferveur orientale qui apparaissent jusque dans les uniformes de l’armée victorieuse. Le spectacle des vainqueurs adoptant les façons et les modes des vaincus n’est pas neuf. Mais il est édifiant. Volontairement, consciemment inégale, l’exposition du Palais des Beaux-Arts groupe les oeuvres d’Eugène Delacroix, de Decamps, de Dehodenc, d’Eugène Fromentin, de Chassériau, de Marilhat, de Raffet, d’Horace Vernet et d’autres. L’en-semble de Delacroix comprend les Femmes d’Alger et la Mulâtresse du Musée de Montpellier, l’Arabe et son Cheval du Musée de Bordeaux et un grand nombre de toiles, dessins et aquarelles provenant de collections privées. Delacroix forme donc le centre ardent de cette exposition. Mais les orientalistes groupés autour de lui utilisent dans un sens analogue à celui du peintre de la Noce juive, l’apport chromatique de l’Orient. Chassériau et Decamps s’alimentent aux mêmes sources que le Maître. S’il nous était permis de faire table rase de la valeur respective de leurs oeuvres, nous ne tarderions point à découvrir les liens de parenté qui régissent leurs travaux. L’exposition du Pavillon de Marsan néglige l’action de l’Orient sur la décoration et sur l’art mobilier de l’époque romantique : panoplies, meubles incrustés de nacre, intérieurs tendus de haut en bas d’étoffes multicolores et affectant l’aspect de tentes arabes. Il eût été pourtant normal de reconnaître la dette contractée par l’Occident latin vis-à-vis de l’Afrique ailleurs que dans une manifes-tation qui célèbre une conquête. Au Petit-Palais, Delacroix s’affirme comme un symbole 4 de l’idée romantique qui préexiste à sa forme, à son art. Au Pavillon de Marsan il apparaît avec des oeuvres beau-coup moins nombreuses, comme l’apogée d’un cycle. L’ensemble réalisé par MM. Louis Metmann, Alfassa et Guérin témoigne d’un goût très sûr, d’une conception vivante et originale de la tâche qui échoit à un musée moderne. L’exposition du décor de la vie à l’époque ro-mantique ressortit au domaine de l’histoire comparée. Elle souligne la loi d’harmonie qui préside à la naissance d’un style. « Le décor de la vie à l’époque romantique est très peu romantique s, écrit Paul Alfassa dans sa brillante préface au catalogue. Les critiques d’art qui sont des perroquets ont repris cette rengaine. Le public en conclut que le style mobilier Louis-Philippe est un style bourgeois, soit anti-romantique. Or, le moindre guéridon, la moindre reliure, le moindre colifichet, la moindre lithographie ou image anonyme exposés au Pavillon de Marsan attestent l’unité du « régimes romantique. Au point de vue pure-ment morphologique, il n’y a pas solution de continuité entre un dessin d’Eugène Delacroix et un fauteuil de la Restauration. De part et d’autre la ligne courbe prédo-mine. L’écriture en ronde, faite de spires, de volutes, l’écriture qui brise la forme en soi, qui la décompose et qui l’anéantit, tour en la colorant, se manifeste partout. Des intérieurs « bourgeois s I dit M. Alfassa. Quel est le sens du terme : intérieur bourgeois ? Le décor de la vie sous Louis XVI et sous Napoléon était un cadre abstrait d’architecture. Le décor de la monarchie censitaire re-flète un état de l’émotivité. Il s’humanise, il s’individua-lise. Il est intime, sentimental et tendre. C’est une pro-jection de l’âme du « locataire s sur le milieu ambiant. Ce décor subjectif, affectif, où tout bouge et où tout porte l’empreinte de l’habitant qui pare son « habitat s, ce décor plus tonal que graphique, fait de taches, de zones d’ombres et de zones de lumière, ce décor où la ligne s’altère de plus en plus, se corrompt et fait place au mouvement de la couleur, est bien l’emblème d’une époque, d’une culture plus musicales que plastiques et statiques. Qu’on envisage l’épopée romantique comme un tout et qu’on incorpore dans ses cadres extensibles l’essor industriel, l’avènement au pouvoir d’une classe, la naissance de l’esprit bourgeois et du capitalisme, cette forme d’im-périalisme qui suscite l’expansion coloniale, ou que l’on qualifie la nostalgie et le spleen romantiques d’évasions et de compensations à une vie vouée au matérialisme, on retrouvera toujours l’unité intérieure, l’unité psycho-logique de l’époque. Cette unité est clairement démontrée par les oeuvres et objets exposés au Pavillon de Marsan. L’autre mérite de MM. Louis Metmann, Alfassa et Guérin aura été de réhabiliter les romantiques mineurs Achille et Eugène Devéria, Alfred et Tony Johannot, FIND ART DOC