On pourrait tenter les mêmes rapprochements idéaux à propos du byzantinisme. Telle fresque de Hadda, de la mission Barthoux, au Musée Guimet, représentant un Bouddha debout, nimbé, auréolé, à l’abhaya mudrâ simulant une bénédiction, n’est-elle pas, par l’attitude, l’esprit théologique, la technique picturale et le conven-tionnalisme général, l’annonce d’un Christ romano-byzantin? Une autre conclusion à tirer des trouvailles d’Afgha-nistan concerne l’importance de l’élément iranien dans la formation de l’art bouddhique de la fin de l’antiquité et du début du moyen âge. A cet égard Bâmiyân et Dokh-tar-i Noshirwân confirment pleinement les inductions de MM. Pelliot et Von Le Coq. Ici encore, d’ailleurs, l’histoire éclaire l’archéologie. La vieille province de Bactriane, convertie au bouddhisme dès le me siècle avant J.-C. et que Hivan-tsang nous montrera si profondément indianisée au Yue siècle de notre ère, dut être, dès 230, soumise par le grand roi sassânide Ardashîr. Vers 303-310 on voit même le sas-sânide Hormizd Il devenu le beau-père et sans doute le suzerain du dernier roi Kushiina du Caboul. Depuis cette époque la Bactriane dépendit de la Perse jusqu’au milieu du se siècle où elle fut envahie par la horde des Huns Hephtalites. Encore fut-elle reconquise vers 566 par le roi sassânide Khosroès ler et ne fut-ce qu’à la fin de ce siècle qu’elle se trouva définitivement arrachée à la Perse par les Turcs. La longue cohabitation en Bactriane d’une vice-royauté sassânide et de l’Église bouddhique explique l’accord révélé par les fresques de Bâmiyân (lue et ve siècles). Ces célèbres peintures, étudiées une première fois en 1924-1925 par M. et Mme André Godard (I) et M. Hackin, et que M. Hackin est à l’heure actuelle en train de pho-tographier à nouveau, nous montrent des Bouddhas gandhariens et des génies indo-gupta voisinant avec des princes sassânides et avec des seigneurs non moins ira-niens. Les rois sassânides, barbus et tiarés de Bâmiyân, sont bien ceux des reliefs de Naksh-i Rustam et de Naksh-i Rejeb et ils forment très exactement la transition entre ce sassânide mazdéen d’Iran et le sassâno-bouddhique, jusqu’ici assez inexplicable, de la région de Khotan (Dandan Uiliq), rapporté par Sir Aurel Stein au British Museum. Mais ce sont les seigneurs iraniens imberbes (I) Godard et Heckin Les Antiquités bouddhiques A Bâmiyân. Editions Van Oest. 14 qui, à Bâmiyân, nous réservent la plus heureuse surprise. Du premier coup d’oeil ils s’affirment comme les proto-types des fameux chevaliers iranisants découverts par Von Le Coq sur les fresques de Qizil, près de Koutcha. Rien de plus significatif à cet égard que la comparaison entre le génie solaire et lunaire de la niche du Bouddha de 35 mè-tres, à Bâmiyân, copié par Mme Godard pour le Musée Guimet (ye siècle), et les élégants damoiseaux qui se sont peints eux-mêmes dans la s grotte des peintres s, à Qizil, fragments rapportés à Berlin par M. von Le Coq (vie-me siècles). Aucun doute désormais. Les sveltes seigneurs koutchéens serrés dans leur longue tunique s au grand revers », qui se balancent sur leurs pointes aux murs du Museum für Vülkerlcunde, sont bien les héritiers directs — types et costumes — des génies ou des princes irano-bouddhiques dont Bâmiyân, en atten-dant Dokhtar-i Noshirwân, nous restitue aujourd’hui l’image. C’est la même aristocratie chevaleresque, ses arts, ses modes, que nous retrouverons dans l’Iran extérieur, de l’Afghanistan aux plus lointaines oasis du Gobi. L’Afghanistan gréco-bouddhique (ou o gothico-boud-dhique s) et irano-bouddhique se présente ainsi comme le vestibule de l’Asie centrale. C’est là que se sont éla-borés les arts que nous verrons se développer à Khotan, à Koutcha, à Tourfan, jusqu’à Touen-houang. Il n’est pas jusqu’à la construction carrée et à l’empâtement central asiatique des visages qui n’apparaissent déjà dans cer-taines figures de Hadda comme sur les fresques de Bâmiyân, à propos de diverses têtes de bouddhas, de bodhisattvas ou de génies volants. De même encore un fragment de schiste de Hadda, représentant un bodhisattva assis à l’européenne dans une niche, se révèle comme le prototype des célèbres bouddhas assis de Yun-Kang, dans la Chine des Wei, reproduits par Chavannes et Sirén (2). Là réside l’intérêt profond des découvertes de MM. Fou-cher, Godard, Hackin et Barthoux. Ces découvertes nous permettent d’établir une continuité entre des foyers jusqu’ici sporadiques. De la Grèce et de l’Iran au Tur-kestan chinois et à la Chine même, l’Afghanistan boud-dhique nous fournit enfin, dans le temps et l’espace, le lien attendu. Dans l’histoire de l’art central-asiatique, désormais, tout s’éclaire. (I) Sirén : La Sculpture chinoise et Histoire des arts anciens ds la Chine. Van Oest, éditeur.