pendant plusieurs siècles. Ce genre eut, pour premier champ d’expérience, les autels qu’encerclaient les absides parées de ces imitations de fresques dont nous venons de parler. Autels qui étaient de grossiers coffres de bois. Pour en déguiser la pauvreté, on plaça, sur le devant, un antependium ou, pour employer le mot espagnol si expressif, un frontal; avec du stuc et des figures peintes de façon à donner l’illusion du relief, on imitait, tant bien que mal, les somptueuses pièces d’orfèvrerie, luxe réservé à de rares couvents ou églises. Sur les côtés, d’autres peintures masquaient la nudité du bois. Le plateau de l’autel était borné à l’arrière par un rebord peu élevé, une planchette sur laquelle les premiers peintres mon-traient des personnages encadrés par des arceaux. Telle est la première forme du retable. Enfin, au-dessus de l’autel, un autre panneau était suspendu en l’air, incliné comme un auvent : il singeait naïvement le baldaquin ou ciborium des sanctuaires plus fortunés. Mais, juste retour des choses d’ici-bas, revanche du pauvre sur le riche 1 Tandis que, pour les églises opu-lentes, rien ne subsiste des décorations murales et fort peu du mobilier, — je parle naturellement d’époques reculées, — seules nous sont parvenues les peintures sur murs ou sur panneaux, provenant d’humbles églises pyrénéennes, hors des grandes routes, à l’abri des pas-sages d’invasion. Les différents éléments de l’autel devaient connaître des fortunes diverses : le frontal, l’élément le plus impor-tant à l’origine, fit place, au xve siècle, à des châssis tendus d’étoffes à sujets brodés. Le panneau, qui jouait le rôle de ciborium, disparut tout à fait. Alors, c’est la partie la plus petite, la plus humble, la plus effacée de l’autel, le retable, la tablette d’arrière, qui n’allait cesser de grandir et de s’élever au-dessus de l’autel, pour atteindre, à l’épo-que de la Renaissance, des proportions énormes et devenir un véritable édifice sculpté et peint. Après ces explications nécessaires, je vais commenter quelques exemples d’art catalan à diverses époques. En premier lieu, un spécimen caractéristique de frontal, d’époque primitive (xIte siècle), qui appartient au musée diocésain de Lerida (fig. 1). Nous avons le type parfait d’une de ces imitations naïves des riches antependia, s ersatz e réalisé au moyen de stuc pour donner l’illusion de l’orfèvrerie dans l’encadrement ainsi que dans les bandes séparant les compartiments latéraux. Les fonds sont aussi formés de stuc réparti suivant des dessins réguliers. Ces fonds ouvragés vont demeurer une tradition cons-tante dans l’art catalan. L’auteur du panneau a aussi cherché à donner l’illusion d’émaux. Les figures sont en effet cernées comme par le cloisonnage d’émaux. Au milieu, un Christ justicier est assis, levant la main droite. Sa physionomie rappelle plus encore l’Orient que Byzance ; l’influence de la Syrie gagna de bonne heure la Catalogne. Les premiers frontales offrent toujours une figure de Christ ou de Vierge, mais on ne tarda pas à leur substi-tuer des visages de saints. Sur les côtés, on voit représentés, soit les apôtres logés dans des arcades (encore une imi-tation des antependia de métal), soit des épisodes de la vie d’un saint. Ici, c’est saint Vincent, populaire dans le Nord de l’Espagne, qui est mis en scène ; les sujets se suivent de droite à gauche en partant du haut : le saint est confié à saint Valère par ses parents ; il est jugé et va être dépouillé de ses vêtements ; on l’étend sur un bûcher ; ses bourreaux, pour lui rendre ses forces en vue de nouvelles tortures, l’ont couché sur un lit ; il expire et un ange emporte son âme au ciel. Le frontal s’associait aux panneaux qui décoraient les côtés de l’autel. Le musée diocésain de Solsona a prêté à l’Exposition de Barcelone deux de ces peintures latérales accompagnant un frontal conservé au musée de Vich. Le frontal montre des épisodes de la vie de saint André. Un des panneaux latéraux représente Adam et Ève tentés, l’Arrestation du Christ suivie de la Mise en Croix, enfin l’Entrée à Jérusalem. L’autre panneau fait défiler sous nos yeux l’Annonciation, la Visitation, la Nativité et l’Ado-ration des Mages (fig. 2 et 3). Ces peintures remontent au mue siècle elles attestent les progrès réalisés par l’art catalan qui se dégage des formules. Les scènes, traitées un peu à la manière d’enluminures, révèlent, dans leur naïveté, un instinct vivant et populaire. Je signale, en particulier, l’heureux effet de stylisation obtenu dans le sujet de la Visitation où Marie et Élisabeth se tiennent étroitement enlacées. Les panneaux latéraux nous sont parvenus en moins grand nombre que les frontales. Pour les tableaux qui remplaçaient économiquement les baldaquins, très peu ont subsisté. Quant au retable, c’est au cours du xlve siècle que cet élément de l’autel, d’abord si réduit, poussa, grandit et se compliqua. Nous avons une preuve excel-lente de cette progression avec l’ample panneau dédié à sainte Eulalie et sainte Claire, et qui appartient à la cathédrale de Segorbe (fig. 4). L’habitude de représenter le Christ et sa mère au centre du retable s’est perdue, et celle de figurer un ou deux saints à leur place s’est généralisée. Au-dessus du panneau central on place un Crucifiement. Sur les côtés, s’étagent des épisodes de la vie de chaque sainte. Ces sujets contrastent : Eulalie subit les plus horribles tortures ; Claire vit dans le recueil-lement monastique et meurt benoîtement dans son lit. Une prédelle, à l’imitation de l’Italie, offre de petits sujets : le Christ émergeant du tombeau et, de chaque côté, quatre saints sous des arceaux. Les panneaux de Solsona offraient un aspect naïf et I1 FIND ART DOC