CHRONIQUES CÉZANNE 1930 PAR WALDEMAR GEORGE L’exposition Cézanne qui a eu lieu à la Galerie Pigalle permet de reviser le procès du Maître d’Aix-en-Provence. Cézanne est la pierre d’échoppement de la pein-ture moderne. Il est son nerf, son principe d’énergie. Il l’était du moins pendant de longues années. Toute une génération a vécu sur son oeuvre. Tandis que ses premiers disciples imitaient sa couleur, sa matière et sa facture tonale, les peintres cubistes tiraient ou prétendaient tirer leurs conséquences logiques de ses thèmes constructifs. Albert Gleizes qualifiait l’Aixois de flèche indicatrice !!! Cette utilisation à des fins personnelles, ce pillage méthodique de ]’oeuvre d’un grand artiste ont eu pour résultat d’en fausser le sens propre. Si l’on veut voir clair dans cette oeuvre, il faut faire table rase de l’art post-cézannien et de la critique, de l’exégèse cézannienne qui sévissent depuis un quart de siècle sur les deux hémisphères. Foin de leçons et foin d’enseignements ! L’attitude purement intéressée des historiens, des peintres et de simples spectateurs devant ]’oeuvre de l’Aixois crée un malen-tendu que seule peut dissiper une cure d’opposition. Cézanne, ce répertoire de couleurs et de formes, ce formulaire plastique, ce manuel de l’art contem-porain (un manuel qui contient des recettes, des règles, à toute épreuve) devint un pourvoyeur des mouvements d’avant-garde de toutes catégories ! Le maître d’Aix-en-Provence, le timide bourgeois provençal, mis à profit par les peintres affranchis, par les “modernistes» d’Europe et d’Amérique, quelle dérision, quel sinistre paradoxe ! Quelle est la posture du peintre cubiste moyen devant l’oeuvre de Cézanne? Il y trouve la justifi-cation de ses propres expériences. Il décèle aisément dans la contexture d’une figure de Cézanne posté-rieure aux années 1880, telle atteinte aux lois de la perspective ou telle déformation. Les Paysages de Braque datés de la Ciotat (1908), les Usines de la Huerta, que Picasso peignit deux ans plus tard, illustrent cette volonté de réduire la vision, l’esthé-tique de Cézanne à l’état d’un système. Mais tandis que Braque et Picasso s’autorisent des recherches cézanniennes pour voler de leurs ailes, la foule ano-nyme des peintres de second plan aborde ce domaine réservé qu’est l’art de l’Aixois, le compas et l’équerre à la main. Que de lois d’harmonie plus ou moins apocryphes n’a-t-on découvert depuis qu’on explore, qu’on mesure, qu’on regarde à la loupe et qu’on met au carreau les tableaux de Cézanne 1 Les érudits s’en mêlent. Et ce sera à qui découvrira le secret du grand peintre, ce secret que son oeuvre refuse de nous livrer, sur lequel les souvenirs, les mémoires, les légendes et les lettres de l’artiste ne projettent qu’une lumière défaillante. Le peintre cubiste moyen, tel que le représentent les gazettes quotidiennes et leurs informateurs, géométrise les données de Cézanne. Ce peintre qui faisait peur au bourgeois bien pensant, jusqu’au jour où ce même bourgeois a adopté lui-même le porte-cigare orné de lignes géométriques et le pot-à-tabac (sinon le vase de nuit) en forme de polyèdre, est-il si éloigné du person-nage banal que popularisèrent les chansons populaires et les caricatures, du peintre qui pratique la peinture en tuyaux de poêle » et qui croit, dur comme fer, au salut de l’univers par la géométrie? Pour avoir jugé pendant cinq lustres l’oeuvre du peintre aixois en fonction des oeuvres qu’elle engendra, on a perdu de vue ses vertus intrinsèques et ses traits distinctifs. Le moment est venu d’adopter devant l’art de Cézanne, une position plus désintéressée. Le rôle d’initiateur qu’on fit jouer à ce grand méconnu a détourné l’attention du public, sinon de l’étude théorique de son style, du moins de son intelligence 19