discrètement, en se fondant doucement. Pour obtenir un ton d’ensemble d’une certaine intensité, les artistes russes suivent l’exemple de la peinture occidentale qui tend à étouffer les valeurs des couleurs isolées ou bien à les accorder ensemble. D’autre part, ils se sentent de plus en plus attirés par le scintillement et l’éclat des métaux. L’ancienne peinture ne répugnait pas à dorer les nimbes et les fonds des icones, mais elle n’employait presque jamais de revêtements métalliques. Au xvtle siècle, se répand l’usage de recouvrir les fonds et les marges des icones avec la s Basma s, des lamelles d’argent doré, très fines, avec des ornements imprimés en bosse. La même s Basma sert pour les nimbes ; on la remplace quelquefois par un tissu décoré d’un émail polychrome. Ce renforcement de l’éclat des métaux agit sur le coloris de l’icone qui s’adapte à cette nouvelle échelle de valeurs et semble briller comme l’or et l’argent. La prédilection de cette époque pour les joyaux finement ciselés contribue au développement de l’art de la miniature un genre jusqu’alors inconnu : des icones de petites dimensions richement décorées, se répand rapidement ; dans ces compositions à personnages nombreux, des tâches colorées et des plaques d’or se combinent dans un enchevêtrement kaléidoscopique. A la fin du xvr siècle, les influences occidentales se multiplient en Russie : elles pénètrent dans la peinture par l’intermédiaire de la gravure. Au xvile siècle, l’art européen triomphe sur toute la ligne : il apporte de nouveaux principes, pose de nouveaux problèmes et proclame l’avènement d’un nouveau style. Sous l’ascendant des modèles étrangers, la peinture d’icones s’éloigne de plus en plus de son idéalisme religieux. Les peintres s’inspirent des légendes pieuses et des contes fantastiques et aiment raconter de belles histoires. Ils deviennent loquaces, même quelquefois bavards. Le sens de la composition s’affaiblit ; les ensembles sont surchargés de détails superflus ; une seule icone réunit souvent plusieurs épisodes, de telle façon que le thème principal s’accompagne d’une longue série de thèmes secondaires. La dégénérescence de la peinture au xvlle siècle est due en grande partie à la vulgarisation de cet art qui, devenu une espèce d’industrie, tombe entre les mains des artistes pour la plupart très médiocres. Vers la deuxième moitié du xvite siècle, l’influence de l’art occidental oblige la peinture russe d’aban-donner les principes fondamentaux de son style. L’art européen implique une nouvelle conception du 14 monde réel, un sentiment très vif de la matière et du volume. Il représente des hommes en chair et en os, des visages qui reflètent des passions terrestres dans toute leur plénitude concrète ; derrière les per-sonnages s’étale un paysage réaliste, une perspective aérienne. Les artistes russes accomplissent une der-nière action héroïque : ils accueillent tous ces élé-ments matériels pour les élever au-dessus de la terre, au moyen d’une espèce de transfiguration mystique. Dans sa retraite devant une nouvelle conception du monde qui continue à envahir la vie russe pendant tout le xvitte siècle, la peinture d’icones renonce définitivement à son rôle religieux et artistique. L’art occidental qui la remplace substitue une atti-tude rituelle purement extérieure à la source pro-fonde de l’inspiration religieuse. Nous sommes amenés à conclure que l’ancienne peinture d’icones russe forme une école de peinture nationale et indépendante et ne saurait être considérée comme une branche de l’art byzantin. Tout en gar-dant et en cultivant pendant des siècles les princi-paux éléments constitutifs du style byzantin, elle modifia profondément, au cours de sa longue évo-lution, la coordination de ces éléments et y ajouta un grand nombre de traits individuels. Dans l’histoire de l’art mondial, cette peinture représente un monde artistique particulier, doué d’un « moi » stylistique. Ce « mois est formé par l’accord de deux éléments, la ligne et le coloris, qui traduisent en langage des formes un état d’âme plein de douceur et d’intimité. Ni l’art byzantin, ni les primitifs italiens (deux écoles qui se rapprochent le plus de la peinture d’icones) ne connaissent une harmonie pareille. La peinture byzantine, issue de la conception médiévale avec sa négation de la matière et avec son idéalisme sublime, ne réussit cependant jamais à rompre avec la tradition antique qui, tout opposée qu’elle fût à son esprit, n’en constitue pas moins sa base formelle. Par contre, les primitifs italiens, soumis en apparence à la tradition formelle de Byzance, remplissent les formes périmées du moyen âge de l’esprit de la Renaissance, c’est-à-dire de l’antiquité ressuscitée. Seule la peinture d’icones russe, du xle au xvite siècle, reste un art médiéval par excellence, un art qui exprime totalement l’idéal de son époque, par des formes artistiques d’une perfection absolue. (Traduit du russe par C. Motchulsky.)