les particularités que nous venons d’énumérer trouvent leur expression définitive au mye siècle ; leur triomphe dans la peinture d’icones marque l’avènement d’une ère nouvelle dans l’histoire du style. C’est vers le milieu de ce siècle que les formes picturales entrent en possession de leur propre langue. Le peintre grec Théophane, arrivé en Russie à la fin du mye siècle (son art raffiné faisait l’admiration de ses contemporains), devient rapidement un peintre russe, son grand talent artistique n’est pas assez puissant pour résister au courant du style national. L’expression la plus parfaite de ce style nous est donnée dans les oeuvres du génial Roublev : c’est dans ses icones que la peinture de la Vieille Russie apparaît dans toute sa grandeur intérieure. Si l’iconographie des saints revêt au mye siècle un caractère national, c’est parce qu’elle résulte de l’activité artistique de toute la nation : cela ne signifie pas d’ailleurs que l’iconographie tend à reproduire les traits d’un type national déterminé, la structure spéciale du visage avec ses proportions particulières et les formes exactes de ses parties. Le nationalisme de la peinture russe du )(Ive siècle est de la même nature que celui de la peinture byzantine ou italienne à l’époque de leur épanouissement. L’art russe du mye siècle atteint à une puissance incomparable de coloris. Une telle fraîcheur de cou-leurs n’est propre qu’à un art jeune qui prenant conscience de ses possibilités, se réjouit de sa plé-nitude. Toute la peinture d’icones postérieure ne saura jamais dépasser le degré de sonorité et de pureté que les couleurs atteignent à cette époque. La courbe qui servait à la construction des formes dans les icones prémongoles, maintenant se détend et se redresse définitivement ; des lignes droites, formant des angles, délimitent des sections géomé-triques qui présentent une certaine analogie avec le cubisme contemporain. A l’intérieur de ces sections, le relief est modelé au moyen d’à-plats de couleurs éclatantes, cernés eux aussi, par des lignes droites et des angles. Pour obtenir cette espèce encadre-ments » (e probiela »), l’artiste superpose des couches successives de peinture, en ajoutant chaque fois un peu plus de blanc à la couleur fondamentale. La peinture murale continue de dominer l’art tout entier en dictant ses lois à la peinture d’icones. L’Iconos-tase n’apparaît que vers la fin du siècle et ne se compose primitivement que de deux étages. L’Ico-nostase de trois et de quatre étages est une création du xve siècle. Au xve siècle, la Renaissance byzantine communique à la peinture russe son ardent amour de la vie ter-restre et son adoration de l’humain. Dès la fin du xvte siècle, des nouvelles tendances de la Grèce et du Sud slave se font sentir en Russie. Des peintres étrangers décorent les églises russes de leurs fresques et de leurs icones. L’âme russe se montre hostile et récalcitrante à cette nouvelle conception de la vie : plusieurs dizaines d’années s’écoulent avant que les peintres russes commencent à réagir à ces idées : encore n’adhèrent-ils à la nouvelle école qu’en modifiant profondément ses principes. C’est précisément au xve siècle que s’affirme et se stabilise définitivement le style de la peinture russe que nous venons de décrire. Le développement antérieur à cette date peut être considéré comme une époque de préparation : après le xve siècle commence une lente décomposition du style, interrompue par quelques vaines tentatives de renouvellement. Envisagée du point de vue du coloris, des formes et du rythme, la peinture du xve siècle n’est qu’une réplique de l’art du xtve, mais une réplique beaucoup plus calme et équilibrée. Les artistes se complaisent dans des constructions savantes et complexes ; ils ‘soignent les détails et les accessoires en tâchant de rendre leurs figures plus dramatiques. Le point culminant une fois dépassé, la peinture vieux-russe s’achemine fatalement vers le raffinement et le perfectionnement de ses procédés artistiques. L’unité de la technique se désagrège et tous les élé-ments constitutifs acquièrent une valeur autonome, ce qui présage inévitablement l’approche de la déca-dence. L’artiste goûte la ligne, le rythme, la couleur, indépendamment de l’ensemble et l’élément pic-tural qu’il choisit selon ses préférences individuelles commence à dominer son œuvre en rompant l’équi-libre de l’ensemble. Très souvent, la forme est traitée tout en surface : la figure n’est modelée qu’au moyen des lignes simples tracées sur la couleur fondamentale. Le clair-obscur manque presque totalement. Le relief du visage est rendu par la superposition des couches de couleurs extrêmement fines qu’on appe-lait e play ». Les vieux amateurs et connaisseurs de la peinture russe disaient de telles icones qu’elles étaient e peintes avec de la fumée ». Les proportions habituelles des figures sont sacrifiées à un certain idéal d’élégance : les person-nages deviennent plus élancés, plus minces et plus souples ; leurs mouvements exagérés et arbitraires semblent presque maniérés ; la composition, plus complexe, embrasse une foule de personnages ; le coloris perd de son éclat, les couleurs s’éteignent 13 FIND ART DOCK