prochement qui nous a tant servi, Maillol occupera-t-il dans l’histoire de l’art une place égale à celle de Rodin? Ce n’est pas aussi impossible que le volume de l’oeuvre de Rodin et le merveilleux aménagement de sa renommée tendraient à le faire croire. A bien des égards, Maillol a été plus près que Rodin de la vraie sculpture. Il est un maître meilleur. Mais il reste à Rodin un avantage : tout compte fait de ses erreurs, et parfois grâce à elles, il est dans un accord profond et large avec son temps. Rien ne lui enlè-vera ce privilège ; comme rien ne démodera assez Wagner, pour qu’il ne témoigne plus de son temps dans l’ordre musical. Dans une statue de Maillol, qu’a chance de cher-cher la postérité? Sera-ce une représentation typique de l’être humain d’aujourd’hui, de son visage, de ses mouvements significatifs, de son drame intérieur? Certes pas. D’ailleurs, une oeuvre quelconque, statue ou tableau, marquée de primitivisme, ne saurait, quel que soit son succès actuel, témoigner plus tard de notre époque. Car nous sommes, au fond, tout le contraire de ces primitifs vers qui nous porte une nostalgie. Le primitivisme reste parmi nous un état d’esprit de réaction, un goût second et transitoire, une contre-tendance. La chance de durée de telles oeuvres ne peut donc résider que dans leur part de beauté éternelle, de perfection sans âge. Mais c’est là qu’apparaît le danger du primitivisme. Ne lui arrive-t-il pas d’arrêter l’artiste au seuil de la perfection? Ne l’amène-t-il pas à accepter, à cultiver, comme des conditions de la pureté et du style ce qu’on ne se gênera pas toujours pour appeler des défauts. Un manque, voulu ou non, d’habileté technique, une gaucherie, une qualité trop naïvement montrée, une vertu de parti pris, qui empêchera de les appeler des défauts quand la passion n’y sera plus? Voilà ce qui m’inquiète un peu. Oserons-nous demander à Maillol de risquer maintenant cette partie : employer la fin de sa carrière à produire quelques oeuvres tout bonnement parfaites? (Il entend ce que je veux dire.) C’est sa partie à lui. Ce n’était pas celle de Rodin, ou ce ne l’était pas au même titre. Il avait pris d’autres assurances. 7 .1 peinture ; mais en revanche, subordonné dans ses moyens et dans son style aux besoins de l’expression. Toutes ces oppositions semblent vouloir se résumer en une seule : romantisme, classicisme. Roman-tisme et même romantisme exaspéré est exact de Rodin. L’autre terme ne l’est pas de Maillol. Sans doute, par plus d’un trait, il s’apparente à l’esprit classique. Son oeuvre en évoque les vertus foncières et l’arôme. Mais le vrai, le grand classicisme ne s’oppose à rien. C’est un équilibre, et un dépassement. C’est aussi une suprême discrétion. Rien n’y est trop voyant. Les principes essentiels n’éprouvent pas le besoin de s’y nommer et de réclamer le respect en forçant la voix. Ils sont trop sûrs d’eux pour faire de la propagande. La composition, les symétries, l’harmonie se plaisent à passer inaperçus. Sauf exception (je pense à la figure du monument Cézanne), la statuaire de Maillol glisse au delà de l’équilibre classique jusqu’au primitivisme. Il s’éloigne de la complication tourmentée d’un Rodin pour aller non vers la complexité sereine des classiques, mais vers une simplicité accusée, elle-même assez pro-vocante. C’est le malheur commun de notre époque (I) de ‘n’avoir su échapper à l’énervante habileté d’un art trop vieux (ou si l’on veut trop » moderne » au sens où l’entendaient Baudelaire et les Goncourt) que par une affectation d’enfance et de maladresse. Affectation qui revêt, chez plus d’un, les apparences subjectives d’une entière sincérité, même d’une rustique probité : il importe peu. D’ailleurs, pour ma part, je préfère de beaucoup le primitivisme de Maillol, qui tient au sol, qui s’enra-cine à un terroir, qui cherche ses preuves dans le corps et la démarche des belles filles de Banyuls, à l’archaïsme de tels autres, qui tient surtout aux musées et aux livres. Pour conclure, en usant encore une fois du rap-(I) Plus exactement de nos aînés. Je continue à croire que, si les conditions sociales ne les troublent pas trop, quelques grands artistes du xxe siècle, dans chaque art, réussiront à repro-duire le miracle classique. FIND ART DOC