n’apprendrons rien aux admirateurs de Maillol ; nous ne dirons rien qui n’ait été dit. Mais il y a des cas où il est moins opportun de signaler un point de vue nouveau sur un artiste que d’appeler son oeuvre, les tendances générales qu’elle représente, le rôle qu’elle a joué dans l’évolution de l’art au bénéfice d’une considération d’ensemble. Cela aussi est un hommage, et qu’on ne peut rendre qu’aux plus grands. Rodin avait porté à un point extrême l’idée de mouvement dans la sculpture, ou, si l’on ne craint pas un mot pédant, le dynamisme. Maillol ramène la sculpture à la recherche de l’équilibre et d’un équi-libre stable, qui n’est point un suspens fugitif ; que nous avons tout loisir d’éprouver et de contempler. Il fait un art statique. Autant que le mouvement, et quelquefois par les mêmes moyens, Rodin a cherché le pittoresque. Il lutte « d’effets s avec les peintres, et avec les plus « sensationnels » d’entre eux. Sans doute on peut tourner autour de ses statues. Mais il est presque toujours possible de découvrir sous quelle pers-pective de choix l’auteur les a imaginées et nous invite à les voir. Il utilise les accidents les plus particuliers de la lumière. Il joue avec les ombres portées. Il pratique une sorte de clair-obscur. Maillol, ancien peintre n’est aucunement pittoresque. Sa statuaire paraît antérieure à la peinture, non corrompue par ses exemples et ses malices. Ses oeuvres ignorent le spectateur ou plutôt la position qu’il lui plaît de prendre pour les contempler. Elles sont tactiles autant que visuelles, en un mot plastiques. Rodin fait une sculpture frémissante. Tous les muscles travaillent. Les chairs sont houleuses, parfois même hérissées, rebroussées, déchiquetées. Maillol rend le calme aux corps et à la matière. Il pense que, par destination, la grande statuaire est tranquille. Une statue est un objet qu’un peuple doit pouvoir contempler pendant des siècles. On ne contemple pas séculairement une crise de nerfs. L’impression de grandeur que Rodin demande au pathétique, Maillol la demande à l’harmonie. Rodin s’était sauvé, avec dégoût, de l’harmonie, parce que son temps ne la connaissait plus que sous les espèces de l’académisme : mesquinerie et joliesse du détail, élégance mondaine de l’attitude. Maillol retrouve une harmonie simple, robuste et même lourde. Rodin, à la suite des grands sculpteurs roman-tiques, fait un art de caractère, et il pousse le caractère jusqu’au point qu’on ne peut dépasser sans tomber dans la caricature. Maillol revient au souci dominant de la beauté. 6 L’un et l’autre se réclament de la nature. Mais ils l’entendent tout différemment. Pour ce qui est de l’inspiration, la nature de Rodin participe à la fois de celle des romantiques et de celle des naturalistes. Pour ce qui est de la représentation, il se rattache à un réalisme impressionniste. Le sentiment de Maillol est plutôt un naturisme, avec ce que le mot comporte de joie, de bonne conscience, de santé païenne. Quant à la reproduction des formes, Maillol se flatte d’échapper à leur imitation extérieure et de les retrouver par une sorte de procédé interne, par la mise en oeuvre des mêmes lois que la nature applique pour les produire. Qu’il y ait là du mysticisme, une certaine naïveté ; que les lois naturelles de Maillol s’apparentent à la médecine des « simples s, on peut l’accorder. Mais la même idée reparaît, moins aven-tureuse, plus intéressante, dans l’ordre de la com-position. Rodin compose peu. Il arrive pourtant que tel de ses ensembles offre une composition admirable. Mais c’est une rencontre du sujet, ou de l’instinct, une chance. Pour être plus juste, reconnaissons que Rodin pratique parfois une composition « visionnaire s de peintre, ou mieux encore de poète (« Le mur des siècles m’apparut »). La substance de l’oeuvre y participe moins qu’elle n’y est soumise. Là encore, Maillol réagit. Il compose par le dedans. C’est une composition de structure et non d’aspect. On a envie de dire une composition par végétation. Il serait intéressant de comparer à ce propos Maillol et Bourdelle. Bourdelle aussi a prétendu réagir contre le manque de composition qu’il reconnaît chez Rodin ; et il a souvent parlé d’architecture, de sen-timent architectural. Je crois l’apercevoir dans cer-taines de ses oeuvres. Il m’échappe dans d’autres, par exemple dans ce monument de la place de l’Alma où je ne discerne pour ma part qu’une emphase décorative d’esprit baroque. Au contraire, je suis toujours sensible à la composition de Maillol, orga-nique plutôt qu’architecturale, quitte à la trouver parfois d’une évidence un peu sommaire. Entre Rodin et Maillol, il y a encore l’antagonisme de l’artiste, nuance esthète, et de l’artiste, nuance artisan. Maillol rapproche lui-même ses méthodes, ses façons, de celles d’un potier. Rodin parlait plutôt de Dante ou de Wagner. Il travaillait volontiers par personne interposée. S’il eût vécu encore un peu, il eût tout à fait cessé de se salir les doigts. Enfin la sculpture avec Maillol est un art à la fois autonome et enfermé dans ses limites. Rodin en avait fait un art débordant, prêt à soutenir la concurrence avec la littérature et la musique, sans parler de la