LETTRE DE RUSSIE LE DÉVELOPPEMENT DU MUSÉE D’ART MODERNE DE MOSCOU PAR BORIS TERNOVIETZ Auprès des collections nombreuses et très variées de l’Ermitage de Léningrad, qui, comme le Louvre, forme un organisme complexe, auprès des collections considérables de la galerie Trétiakov ou du Musée russe de Léningrad, le Musée d’Art moderne de Moscou (*) peut paraître bien modeste. Mais son attrait réside justement dans la richesse et l’équilibre intérieur de ses collections. Le visiteur qui l’étudie ne connaît pas la sensation de fatigue physique et morale qui est inséparable de l’étude des vieux musées européens, car notre musée est d’un type nouveau, pour ainsi dire monographique, consacré à une seule époque. On n’y erre pas indéfiniment à la recherche de l’oeuvre que l’on souhaite voir. En traversant, l’une après l’autre, les salles petites, mais claires et gaies, le visiteur prend connaissance presque inconsciemment de l’évolution générale de l’art fran-çais nouveau. Le plus grand charme du Musée, la signification même de son existence autonome, re-posent sur cette facilité d’assimilation rendue pos-sible par la disposition logique du tableau synop-tique qu’il développe. L’homogénéité de sa com-position n’a permis ni d’incorporer le Musée d’Art moderne au Musée des Arts de Moscou qui est un as-semblage quelque peu chaotique d’une énorme col-lection de moulages, de collections de dessins et de gravures, d’une galerie de tableaux, d’antiquités égyptiennes et coptes, etc., ni de l’unir à la Galerie Trétiakov qui possède une grande section d’art russe contemporain. Dans le système des Musées de l’U. R. S. S., le Musée d’Art moderne d’Occident occupe une situation spécifique. Presque la moitié des visi-teurs du Musée sont des artistes et des élèves d’écoles d’art. Quoi d’étonnant à cela? Le musée thésaurise les expériences vivantes de l’art. Il constitue un lien concret avec la vie artistique de l’Europe. La plénitude et l’éclat de l’art français d’avant-(1 La dénomination complète du Musée est : a Musée d’État de l’Art Moderne d’Occident » pour simplifier, nous le nom-merons dans notre article « Musée d’Art Moderne ». (I) Le Musée possède 19 tableaux de Claude Monet, 12 Degas, 25 Cézanne, 29 Gauguin, 14 Bonnard, 22 Derain, 55 Matisse. 54 Picasso, etc. Tableaux à l’huile pour la plupart. guerre (I) ont conféré au Musée une notoriété qui a dépassé les espérances de l’U. R. S. S. Le nombre des visiteurs étrangers est considérable et augmente progressivement ; certains étrangers sont venus à Moscou spécialement pour étudier notre Musée, dont la réputation s’affirme dans la presse interna-tionale. L’événement principal qui marque la période des quatre dernières années est la fusion des deux sec-tions distinctes du Musée. Le fonds principal du Musée d’Art moderne de Moscou a été composé par les collections nationalisées de Stchoukine et de Morosov. Jusqu’en 1928, les éléments du Musée d’Art moderne étaient répartis dans deux hôtels et le Musée avait le caractère de deux collections pri-vées. Mais la Nouvelle Russie ne pouvait se borner à conserver des ensembles assimilés à des documents historiques témoignant du goût esthétique d’une époque. Les collections Stchoukine et Morosov, qui avaient été si vivantes, ne devaient pas demeurer sans relation avec la réalité actuelle. Elles devaient être continuées et complétées. N’oublions pas que Manet et Seurat brillaient par leur absence dans les deux collections, que Stchoukine n’admettait pas Bonnard, que Morozov restait indifférent à Henri – Rousseau, à Braque, aux cubistes, etc. Parfois l’importance accordée à l’oeuvre de tel peintre était injustifiée (par exemple Maurice Denis, Valtat). Il est vrai que ces irrégularités donnaient un certain style, une fraîcheur inattendue, une acuité parti-culière aux collections, surtout à celle de Stchoukine, mais elles répondaient mal au but que se proposait un musée considéré comme un institut d’études scientifiques et d’éducation artistique. Remarquez que l’existence de deux collections analogues con-duisait aussi au morcellement du système d’expo-sition, à la fragmentation des études scientifiques, etc., etc. Ces divers motifs obligèrent le Commissariat de l’Instruction publique de briser avec la tradition his-torique et d’assembler, en automne 1928, les deux collections en un seul local. Celui de Morozov fut 21