Rousseau à Camille Bombois, est un témoignage d’époque. Les artistes dont les oeuvres ne suscitaient jadis que sourires de mépris rencontrent aujourd’hui un accueil enthousiaste. (Un tableau du douanier Rousseau entre au Louvre parce qu’on reconnaît sa valeur intrinsèque. Mais cette valeur ne peut être décelée que par des hommes ayant fait table rase de l’esthétique classique.) Une société qui assiste rayon-nante au spectacle de sa défaite, ou de sa transmu-tation, qui recule pas à pas, qui lâche prise et qui passe à l’ennemi est une société condamnée à mourir. Le salut par le coeur? Le salut par l’esprit, par le cerveau créateur, agissant? Tel est le dilemme de l’art contemporain. Le bourgeois moderne adopte non seulement le langage, mais aussi la vision d’une classe, d’un groupe social. Au temps de la Renais-sance, l’artiste, issu du peuple, s’arrache à son milieu, « s’élève s, comme on disait naguère, fait ses huma-nités et s’aristocratise. Aujourd’hui l’homme du peuple, s’il est peintre, a le rare privilège de demeurer lui-même. Il accomplit son oeuvre et remplit sa mis-sion sans déroger et sans faire acte de traître. Le centre de gravité de la civilisation a été déplacé. Le peuple a cessé de subir l’emprise spirituelle des classes dites dirigeantes. La bourgeoisie est attirée dans l’orbe d’une vision populaire. Elle se popularise. Elle éprouve le besoin impérieux (un besoin phy-sique bien qu’inconscient) de se donner au peuple. La lutte des classes qu’elle mène avec ardeur n’infirme pas notre thèse. Pour accepter des oeuvres qui sont la négation de l’esprit hiérarchique, il faut subir une transfusion de sang, il faut renoncer à niveler par le haut, il faut répondre aux rudes appels du peuple. Placée dans un état de réceptivité qui lui permet d’aimer l’art populaire, d’en accepter l’au-gure, la société moderne croit élargir le cercle de ses connaissances et enrichir sa sensibilité, sans altérer le type de sa culture. En réalité, cette société abdique et affirme par ses goûts, qui sont l’expression de son être le plus intime, sa volonté latente de se soumettre. Une classe qui brûle successivement les dieux qu’elle adora et qui épouse la cause de l’adversaire, ses pas-sions, son parler, ses manières, qui se retrempe aux sources les plus profondes de l’inspiration et de l’âme populaire a cessé d’exister, en tant que classe vivante. Doit-on considérer les témoignages du nouvel humanisme qui se manifeste dans l’art de la peinture comme les prodromes d’une prochaine renaissance de l’esprit oligarchique ou comme les soubresauts 6 d’un monde agonisant qui tente de se survivre et qui exhibe en guise de références ses quartiers de no. ‘ blesse? Hélas! nous ne pouvons croire à l’avenir, à la vita-lité du mouvement de revanche humaniste que nous préconisons. Puissions-nous nous tromper! Puissions-nous assister au triomphe d’une idéologie et d’une mentalité qui ont donné naissance dans le passé aux oeuvres les plus hautes et les plus accom-plies. Puissions-nous saluer l’avènement d’un art pétri d’intelligence, d’un art qui restitue tout leur ancien prestige aux valeurs de l’esprit. L’oeuvre d’Eugène Bermann signifie avant tout un retour offensif de l’esprit italien. Cet esprit se ré-vèle sous des aspects divers, celui d’abord de la cu-riosité, de la soif de connaissance : celui ensuite du goût de l’universel, de la passion des idées générales, des formes qui sont des archétypes, des concepts non point représentés par des idéogrammes mais sciemment incarnés. Un art qui tend vers une architecture… Depuis cinq siècles les peintres se tournent pour la troisième fois vers ce genre, vers cette forme d’expression, qui sont l’emblème de la vision classique. Motifs d’archi-tecture et vision plasticienne. Les maîtres du Quattro-cento endiguent et ferment l’espace. Ceux dont les oeuvres annoncent la Renaissance aiment situer leurs scènes dans les limites exactes des places bordées d’arcades. Les perspectives de leurs paysages urbains participent d’une magie, d’une hallucination pure-ment géométriques. Raphaël, dans l’Incendie de Borgo, et Poussin, ce peintre archaïsant, confèrent à leurs architectures une signification magique, irréa-liste. Les pionniers du néo-classicisme : Hubert-Robert, Pannini, Piranesi se penchent sur les ruines et rappellent à la vie les vieilles pierres. Des tronçons de statues mutilées jonchent le sol des tableaux de Pannini. Ses marbres sont des êtres pétrifiés, prêts à reprendre leur place au milieu des vivants. Les temples abolis qu’évoque le Piranèse et les colonnes brisées, chères à Hubert-Robert parlent un idiome oublié et pourtant persuasif. Nous regardons avec des yeux nouveaux les antiques que caressait Poussin et dont Winckelmann déchiffrait la texture. Les ruines ont cessé d’être les vestiges matériels d’un passé historique. Elles sont devenues les vocables trans-parents d’une langue métaphysique, qui nous est familière. Eugène Bermann débute officiellement en 1924. De retour d’Italie, « terre maudite s que les peintres