à des fins terrestres, immédiates, utilitaires. Mais quiconque fait preuve de retenue avoue son souci du prochain, du voisin, des passants — ce souci qui est précisément le respect humain — forme défini-tive de la pudeur, quand elle a mal tourné. La doctrine du Christ ne saurait être impliquée dans la mésaventure d’une vertu évangélique. Il n’en est pas moins certain que le respect humain procède d’une origine cléricale, en ce sens qu’il fut à son ori-gine un péché d’Église, une défection des croyants devant le ricanement des incrédules et qu’il reste, en dernière analyse, l’adultération d’un enseignement répandu au nom du Christ. Et c’est chose plaisante que de voir les faux libres penseurs du temps s’em-parer de cette défaillance pour l’ériger en devoir. Car il s’est trouvé des démocrates, épris de con-ceptions unitaires, mais oublieux des franchises de la création intellectuelle, pour refuser aux initiatives la possibilité de se manifester hors la règle stricte des partis et pour tenter un vaste encasernement des cerveaux dans la morne uniformité d’une République ne varietur que protégerait, à toute éventualité d’au-dace, la crainte révérentielle de la solitude civique. Il s’est trouvé des démocrates pour crier sus aux dissi-dents comme si la démocratie n’était pas issue des dissidences du passé pour spéculer sur le respect humain des laïcs qui, plus que la loi des majorités, maintient dans l’obédience les timides minorités! Tentative vaine, vouée au désavoeu prochain! D’accord ! Mais cette e confiance en soi s, principe de l’héroïsme civil — au dire d’Emerson — a disparu ou disparaît de nos activités politiques, voire de notre vie intellectuelle : l’ambition courtisane se satisfait d’honneurs. Il n’y a plus guère d’iconoclastes. Emma-nuel Berl, qui pourrait en être un, consacre deux pamphlets à la mort de la pensée et de la morale bourgeoises, deux morts qu’il faut qu’il tue. La pensée et la morale prolétariennes, en dépit de Georges Sorel, ne seront pas distinctes, si le respect humain s’en mêle pareillement, si les spécialistes de Révo-lutions ne cessent de raffiner sur l’exégèse que pour raffiner sur la procédure, nous contraignant à évo-quer en face de leurs violences rituelles — ce sar-casme du vieil Hugo : Leur idéal a rceil du cadavre… Un idéal cadavérique régente, en effet, toute l’ac-tivité novatrice d’une époque où chaque élan de l’in-dividu est paralysé par le rythme de la foule souve-raine. Les disciples de Proust font de la vivisection dans des chairs mortes. Un caporalisme du médiocre et de la veulerie domine, opprime l’art plastique comme la littérature, comme la vie citoyenne. Il n’y a presque plus d’anarchistes dans un monde anar-chique. Faute d’avoir pu laïciser la morale, on a laï-cisé le respect humain. C’est pourquoi tant de tris-tesse et tant d’hypocrisie pèsent sur la Renaissance des peuples. GEORGES BRAQUE PAR E. BOVE La peinture, comme tous les arts, existe grâce aux peintres et il serait vain de vouloir la définir autre-ment qu’en analysant l’oeuvre de ceux-ci. Le fait d’analyser quoi que ce soit suppose qu’on possède, avant d’exercer son jugement, une conception idéale. Mais ce n’est qu’une supposition. Devant un artiste, notre conception devient celle vers laquelle cet artiste tend, et c’est dans les points où il ne l’atteint pas que nous pouvons nous permettre de formuler une cri-tique, mais non pas dans sa manière ni dans sa per-sonnalité que nous avons le droit de ne pas aimer, mais que nous n’avons pas le droit de juger. Il faut donc prendre les artistes pour ce qu’ils sont et essayer de comprendre en quoi leur oeuvre approche le plus 4 de la perfection qu’ils s’efforcent d’atteindre. C’est ce que je vais m’appliquer de faire en parlant de Georges Braque. Dans chacune des toiles de ce grand peintre, il y a une plénitude qui ne trompe pas. Ses qualités dominantes sont la maturité et la puissance. Le profane, devant cette oeuvre, est tout de suite frappé par l’équilibre, la sûreté, la confiance. Rien n’est laissé au hasard. Tout est ferme, lent, fort. De telles qualités sont à la fois d’un homme et d’un artiste. Il arrive rarement que l’un soit l’égal de l’autre. Il est plus fréquent de deviner sous des dons écla-tants une personnalité pauvre que de rencontrer une harmonie complète entre l’homme et l’artiste. On sent toujours, devant une toile qui n’est que pleine