Certains esprits inassimilables peuvent encore, grâce à la faculté d’ignorer les faits réels, présenter l’ère moderne comme une vaste erreur, et la peinture moderne comme une force éphémère. Ceux qui possèdent cet admirable don d’ignorance ont l’en-viable stabilité d’esprit qui leur permet de prendre automatiquement une attitude négative devant un fait nouveau. Mais il serait injuste de ne pas faire la distinction entre cette attitude, résultat de l’instinct de conservation qui fit dire aux grand’pères que la Tour Eiffel est une affreuse hérésie, la locomotive un crime contre le paysage, l’automobile une maladie de la sensation, le métropolitain une entreprise vouée à la faillite faute de voyageurs, et l’attitude critique qui cherche et qui se doit de rechercher à distinguer et à situer un fait, un mouvement, une expression. Les vieux clichés qui ont servi à blaguer successi-vement tous les peintres depuis 183o servent encore à alimenter la critique déréglée qui bafoue des per-sonnalités diamétralement opposées : Bombois — Séraphine — Vivin — Bauchant. M. W. Uhde qui a eu le tort, aux yeux de certains, d’avoir découvert H. Rousseau est aujourd’hui accusé d’avoir inventé ces peintres, et d’être l’animateur d’un  » étrange marché « . L’affirmation est inexacte : Bombois avait déjà été remarqué par quelques hommes de lettres : Florent Fels, Guenne, Bureau, Lascombes, par quel-ques amateurs aussi et non des moindres. Mais ce fut Marcel Mathot, un marchand connu de tous les peintres, qui, voyant pour la première fois des tableaux de Camille Bombois, eut pleinement conscience de sa valeur. Ce fut lui qui  » sadiquement  » lui fournit les moyens d’installer un atelier et de quitter son emploi de manoeuvre pour pouvoir se consacrer entiè-rement à la peinture. Mathot n’était pas riche. Je doute même qu’il le soit aujourd’hui, mais son enthousiasme pour Bombois fit des miracles. A cette époque Bombois travaillait encore comme ouvrier de nuit dans une imprimerie, dormant peu le jour pour peindre plus longtemps, mangeant peu et réali-sant cependant une oeuvre importante. A dater du moment où il rencontra le  » sadique thuriféraire  » sous l’enveloppe débonnaire et exaltée de Marcel Mathot, Bombois put dormir la nuit et peindre le jour. L’histoire, simple et belle comme un Bombois, vaut d’être racontée telle qu’elle est. Quoi qu’il en soit, M. W. Uhde doit être lavé de l’accusation portée sur lui. Si aujourd’hui des tableaux de Camille Bombois n’avaient forcé l’attention, personne ne chercherait à donner ce conseil réellement sadique qu’il faut  » se garder de l’encourager « . M. André Lhote, lorsqu’il déplore que certains peintres aient atteint,  » deux ans après leur découverte », une consécration que ne connaissent pas encore d’autres peintres qui ont  » travaillé vingt ans « , se dresse contre un fait acquis, contre la consécration, contre les encoura-gements de ceux qui sont les véritables animateurs de ce qu’il appelle un  » étrange marché « . D’ailleurs il s’en doute bien, puisqu’il constate, non sans dépit, que ce sont les  » manifestations les moins normales qui obtiennent les hommages les plus empressés « , et que  » les véritables peintres, ceux pour qui comp-tent avant tout la composition, les proportions plas-tiques, la couleur et le caractère, sont les derniers auxquels va l’amateur « . L’amateur se passe de classi-fications aussi arbitraires; il pense sans doute que ces moyens théoriques ne présentent par eux-mêmes aucun intérêt et que, n’obéissant à aucune loi stable, ils se renouvellent à l’infini, selon l’intuition et le génie d’expression de l’artiste… M. André Lhote convient aussi que s’il refuse à Bombois ces facultés, d’autres les lui reconnaissent. Et c’est l’essentiel! Il se rend compte finalement que ce peintre n’appar-tient pas à la bouteille, ni au marché aux puces, mais à son époque et au public. D’ailleurs. le fait saillant qui se dégage de ses amères réflexions est que le populisme, puisque cette expres-sion est créée, existe, qu’il est représenté par des peintres et qu’il a touché un public. Les tendances exprimées par Bombois sont issues d’une phase psychologique de l’histoire contemporaine. Le populisme existe d’ailleurs en Allemagne où il correspond au mouvement pictural appelé  » le nouveau réalisme » et, en littérature, à Erich Maria Remarque. Après l’inquiétude de l’après-guerre, Camille Bom-bois est le premier événement dans la peinture qui correspond complètement aux tendances d’apai-sement. Son oeuvre est l’expression de la quiétude intérieure, de la sérénité de l’âme. Bombois est né à son heure, promu à sa vocation en vertu du phéno-mène qui fait que l’art n’est pas un spectacle, encore moins un métier, mais une nécessité mimique. Il trouve, pour cette seule raison, des résonances toutes prêtes. Eloigné de la tradition,l’art de Bombois est unrecom-mencement. De même que Vivin il correspond aux exi-gences de la psychologie moderne (Freud, Jung, etc.), qui demandent à l’individu d’oublier les lieux com-muns d’une fausse éducation, pour redevenir complè-tement sincère devant les faits de la nature. Bombois ou Vivin ne sont pas des cabotins de l’archaïsme ou des primitifs intellectuels. Ce sont des instinctifs. Camille Bombois est un simple, fanatique en même temps que sage. Il peut se passer de tout et de tous ; il n’a fréquenté aucune coterie, aucun café, aucun peintre. Il cherche seul ce qu’il doit chercher et ne puise qu’en lui-même; il est si près de la nature qu’il l’évoque sans effort. Il peint depuis douze ans. Pendant sept années consécutives il a été employé de nuit dans une imprimerie; courbé sous les charges écrasantes des bobines, demandant à cet humble 9 FIND ART DOC