LES LIMITES DE L’ART POPULAIRE PAR HENRY BING Volontiers le bourgeois représente le peuple sous l’emblème de la chopine. S’il faut en croire cer-tain critique, les limites de l’art populaire sont : au sud la bouteille, à l’ouest le marché aux puces, au nord l’irresponsabilité, à l’est la maladresse. L’art est toujours populaire. Les artistes ne naissent pas de générations aisées ou inactives mais des remous ascendants de couches sociales primitives. Aussi l’art reste-t-il toujours une forme de la naïveté. L’artiste ne conçoit pas un monde réel, correspondant à un système philosophique, qui englobe l’ensemble des phénomènes connus; il ne découvre, dans un monde resté mystérieux, que certains faits accessibles à sa sensibilité. L’expression naît de ce conflit d’ins-tabilité. Mais limiter l’art, fût-il populaire, est une fâcheuse et impossible idée. L’étiquette est équivoque et impropre; cependant une chose est certaine : aucune frontière ne saurait être assignée à l’art, à la vie, à ses manifestations, et nul fait n’est privé de possibilités de développement. Le geste du critique qui revêt l’uniforme du sergent de carrefour pour orienter, d’un bâton magique, l’art vers des voies à sens unique ou pour briser un mouvement, une forme picturale, est insensé. L’article consacré à l’art populaire, par M. André Lhote, dans la Nouvelle Revue Française (numéro du ter août 1929), résume assez bien les conceptions généralement exposées sur des peintres qui, n’ayant hérité d’aucune formule, regardent la vie comme un problème neuf et l’expriment avec simplicité. En voici les citations essentielles :  » Il faut laisser nos gentils peintres irresponsables à leur bouteille, à leur partie de billard ou d’écarté… Il faut surtout se garder de les encourager… leur poésie émane mystérieusement de la bêtise et de la maladresse… leurs peintures sont des témoignages d’une incons-cience, d’une ataraxie pour nous à jamais perdue… le seul marché qui convient à leur poésie est le lointain, hasardeux et très miteux marché aux puces « . Pour un paysan, un touriste est un anglais. Dans le Landernau de la peinture, un Bombois, un Vivin sont des peintres du dimanche (depuis Rousseau on connaît ça). Ce qui équivaut à dire qu’un artiste né pauvre, obligé de demander sa subsistance à un métier quelconque, pour une période, est uniquement de ce fait dépourvu de talent et de moyens d’expres-sion, voué à l’alcoolisme et au ruisseau. Les rapports de conditions primaires de développement, de l’alcoo-8 lisme ou du paupérisme avec l’art sont des chapitres indépendants de l’oeuvre en elle-même ; le caractère d’une oeuvre et son dynamisme ne sont pas assujettis aux faits et gestes de l’individu. De même aucune distinction ne peut être établie entre l’autodidacte  » inconscient et maladroit  » et le professionnel adroit, conscient et organisé. Faut-il dire que c’est une obligation pour certains de faire un métier auxiliaire et que presque tous les peintres l’ont exercé? Faut-il rappeler, parmi tant d’artistes, en dehors de Rousseau le douanier: Jan Steen cabaretier, Van Gogh employé de commerce, Gauguin boursier et; des écrivains : Jack London ouvrier et trappeur, Maxime Gorki chemineau, et tant d’autres? Dit-on aujourd’hui,  » le maître d’école Franz von Schubert « ? Quand donc cette vérité cependant bien simple se fera-t-elle jour que l’art n’est pas un métier, mais une vocation; que les artistes de talent n’apprennent pas leur technique, mais l’inventent et que les artistes sans talent apprennent sans jamais rien savoir. Pourquoi chercher à tromper le public sur la véri-table qualité de  » professionnel  » des peintres dits populaires… La peinture ne serait-elle qu’un appren-tissage, dont les données sont à tel point bornées, conservatrices, traditionnelles, routinières, que seuls seraient admis au grade de professionnel les officiants épigones qui perpétuent d’anciennes méthodes ! M. Lhote déplore aussi que  » leur mémoire soit surchargée de souvenirs de mauvaises peintures officielles, de chromos, de reproductions d’art, d’illus-trations de magazines « . H est évident que la photo-graphie a considérablement modifié et souvent corrigé certaines conceptions optiques. L’instantané a beaucoup servi à Degas, notamment pour trouver des découpages de motifs qui, à son époque, ont paru d’une folle audace. L’influence d’un réalisme d’atti-tudes telles que l’objectif les dévoile n’est déjà plus reprochée à Degas. De son côté, Utrillo a utilisé la photographie. Les premières impressions de Camille Bombois furent des  » images populaires  » et de  » mauvais chromos « . Mais quel rapport ces contestations présentent-elles avec l’oeuvre de Camille Bombois? C’est en regardant couler l’eau le long des péniches, en gar-dant son troupeau, en voyageant de patelin en patelin au bord de l’Yonne, que son coeur a compris et enfermé en lui-même ces doux poèmes, toutes ces chansons de la nature et des humbles gens. FIND ART DOC