BOMBOIS PEINTRE EN PEINTURE PAR JOSEPH DELTEIL Aimez-vous la symbolique des noms? Moi j’en raffole. Bombois ! allons, bon ! Voici du bon bois dont on fait les flûtes, les flûtes et les arcs-en-ciel ! J’étais là écoutant avec le sourire, moi qu’une fée entre les deux doua de malice — un peu trop — mais aussi d’héroïques larmes, j’étais là écoutant :  » Bom-bois, c’est un homme qui n’a pas le moindre senti-ment de ce que c’est que l’inquiétude, un homme qui regarde les causes sans peur et sans reproche. » — et je m’émerveillais qu’on s’émerveillât. Hé quoi ! est-ce donc là si rare prodige ! L’inquiétude ? mais nous sommes encore quelques milliards, chers amis, à n’entendre goutte à cette catin, à lui faire le pan de nez, et tous les tours de cochon ! L’inquiétude, mais seuls quelques vieux amants syphilitiques s’intéressent encore, et pour cause, à cette chercheuse de poux. Jamais vu ça, l’inquiétude, dans mes prés à vaches, l’on y vit et l’on y meurt verts, de toutes les façons. Car avant même qu’on ne m’en assurât, il était clair, n’est-ce pas, que Bombois, à son âge, gardait les vaches pour le ciel… Encore une idée d’ailleurs qui entre difficilement dans le ciboulot de la gent pensante. Ils veulent absolument qu’on ait appris ça quelque part, le génie ! Un gabelou, un capitaine au long cours, un vigneron se mêlant de peindre ou d’écrire : non, mais voyez-vous ça ! Est-ce qu’ils savent mettre les points sur les i? Quelle est la longueur de leurs manchettes? L’âge de leur belle-mère? Autant de pressantes questions qu’on se pose illico, doctoralement, et la mine jaune, les plumes sont faites pour ça, quant aux langues, pire ! Car vous ne voudriez pas que nos as à spécu-lation descendissent à se demander uniment, enfan-finement : l’ouvrage est-il bon? Fi ! Bon pour les goujats tant de simplicité ! Eux, c’est un bel emberli-ficotage qu’il leur faut, avec beaux dosages et tan-tièmes à la clé, midi à quatorze heures, telle est leur pendule. Il faut tomber de la lune (au moins) pour répondre comme André Salmon à certaine enquête récente pour les  » livres de guerre  » :  » De quoi s’agit-il ? D’art littéraire ?  » Mais non, mais non, Salmon, il ne s’agit pas d’art en Articolie. Leur chef-d’oeuvre, ils ont réussi à donner un sens péjoratif jusqu’au mot bien innocemment technique de : littérature. Pas de littérature en Littérature ! Pas de peinture en Peinture ! Pas d’architecture en Archi-tecture ! C’est simple, mais il fallait y penser. Litté-raire, pictural, sculptural : tout cela péjore ou péjo-rera bientôt. Et quelque paysan du Danube, quelque marinier comme Bombois s’en vient naïvement leur demander, en écarquillant les yeux : mais de quoi s’agit-il donc? —  » D’inÉzs!  » répond le choeur des grenouilles. Ah ! j’eus la rate plus empourprée qu’un cardinal le jour où, à Paul Valéry (dont on a fait un penseur, mais je le vois un très grand poète physique, et le seul qui sache troquer contre des mots l’or de la femme, le velours de la pêche), Einstein en souriant répondit : — Je n’ai jamais d’idées ! Hé bien, le cas Bombois est un cas-type, un cas extrême, un de ces cas d’aurore et de soleil levant que la Nature se plaît à poser à la barbe de la Raison, la semaine des quatre jeudis, pour lui montrer face à face son excrément, et une bonne fois, Bombois lui en f… enfin plein les yeux. Si après ça, il reste des ratiocineurs assez aveugles pour nier la lumière, à la gare ! Comment, voilà un peintre, un grand peintre qui ne sait ni A ni B, ni règles ni rudiment, ni traditions ni canons, voilà un gaillard indemne de toute leçon, de toute application, et qui sans témoin ni trompette vous  » sort  » à la vie les tableaux les plus achevés, les plus choisis, les plus parfaits, si innocents et si purs qu’ils ont l’air vraiment de sortir de l’ceuf — loin de moi la pensée d’en juger la valeur, mais leur  » être  » me frappe, leur pelage et leur sang qui les apparentent à des poulains — et le phénomène, le miracle n’émeut pas la gent esthétique, ne l’incite pas à quelque salutaire retour sur soi-même, à quelque examen de conscience ou seulement de la question ! La rosée du ciel leur lave en personne les prunelles et ils restent opaques ! La Providence prend soin de leur envoyer un petit Jésus par la poste, et ils restent athées ! La pomme de Newton leur tombe sur le nez, et ils ne pipent pas ! Comment, voilà des gens qui s’escriment depuis des siècles — c’est leur métier, ils disent, leur fonction, leur vocation — à étudier les lois de l’art, à en pénétrer l’essence, à en interpréter les oracles, et pour une fois — mais ça fait plusieurs d’ailleurs — que la Vérité toute nue leur apparaît dans le  » simple appareil  » d’une feuille de vigne, ils n’en ont pas la berlue ! 7