philistin et le moins averti des visiteurs d’une quel-conque exposition provinciale. Tandis que l’esthétique des sculpteurs est l’esthétique de l’archétype, celle de leurs commentateurs littéraires en est encore au trompe-l’ail. Reportez-vous, dans la collection d’Adolphe Reinach, au texte de Pline : qui dit peinture dit fiction; pictura autem dicta quasi fictura. D’après Aristote, la peinture est l’art de la par-faite reproduction.  » Celui de représenter exactement noir ce qui est noir, et blanc ce qui est blanc », dit plus prosaïquement encore Lucien. Horace ne se prive même pas d’ériger en dogme cet illusionnisme à effet qui a nui tellement à l’art moderne : celui qui conseille, par exemple, de regarder certains tableaux seulement de près, d’autres à distance. Erit quae, si propius stes Te capiet magis, et quadam si longius obstes, assure-t-il. Écoutons maintenant, dans une de ses savoureuses scènes de moeurs de Herondas (mises à jour en 1891), parler deux jeunes femmes qui visitent le temple d’Esculape à Cos, où il y a, comme ex-voto, un petit tableau d’Apelle.  » Regardez, chérie, quel délicieux enfant nu ! On dirait que ses chairs sont chaudes et qu’elles palpitent… J’ai l’impression que si je les pinçais il en resterait trace… Et ce boeuf ? Pour un peu il me ferait crier de peur !… Et ces pinces ? Ne les croirait-on pas réelles ? —  » N’a-t-on pas l’impression d’entendre parler deux petites bourgeoises de notre temps en train de visiter une exposition? C’était donc là une époque où le mande des idées était bien inférieur, quant à l’esthétique, au monde des formes. Dans d’autres occasions, le contraire peut arriver. Aujourd’hui, ce cas ne se présenterait-il pas? — N’arrivera-t-il pas un moment où les doc-trines dépasseront facilement les oeuvres, et où les théoriciens de l’art iront plus loin que les créateurs d’oeuvres d’art? — C’est un peu gênant à dire pour qui se prétend critique et théoricien, la malignité pouvant immédiatement faire supposer, en effet, qu’il ne s’agit que d’un plaidoyer pro domo sua ou, comme on dit en Espagne,  » qu’on amasse pour soi « . Il est également inévitable qu’une certaine susceptibilité corporative, pourrait-on dire, et ce fameux  » esprit de corps  » se sentiront atteints par une semblable affirmation et que les artistes ne manqueront pas de recevoir sans courtoisie ceux qui viendront à eux avec, en guise d’offrande passagère, cette échelle de valeurs. Par contre, en laissant de câté ce qui concerne spécialement notre profession, sans sortir du milieu des artistes, sans même avoir recours aux pages de ceux qui, en plus de leur art, cultivent celui d’écrire ou aux conversations de ceux qui aiment à discourir, il serait permis peut-être en restant dans le domaine des oeuvres, dans le champ d’action de chaque oeuvre, de comparer le pourquoi des intentions avec la note arithmétique des réalisa-tions. C’est-à-dire, ce que l’artiste a voulu dire avec ce qu’il a dit en réalité, bien que parfois ce qu’il a voulu dire reste à l’état de suggestion ou d’allusion. Une semblable comparaison peut être très instruc-tive, elle peut, dans le plus grand nombre des cas, nous montrer un déficit là où la statuaire antique nous montrait un excédent. Le Scopas dont la main modelait était probablement supérieur au Scopas dont la sensibilité commandait; et au contraire, aujourd’hui, chez un Chirico, par exemple, qui ne serait pas frappé par la supériorité de l’exercice intellectuel en regard du jeu plastique, ce dernier demeurant pourtant si beau et si important et en même temps — et c’est pourquoi nous avons juste-ment choisi cet exemple — si influencé par l’intention? Ce déficit a été la règle générale dans la production de certains groupes et écoles de nos jours. Avec son ambition théorique, le Cubisme se rapprochait de la Magie et sa production le faisait prendre pour de la subconscience. Nombreux sont les peintres qui ont articulé des balbutiements de médium là où ils prétendaient se livrer à des exorcismes définitifs d’hypnotiseur. La critique épisodique, faite en fonction de l’his-toire se trouve dans l’obligation d’aboutir à de telles conclusions, mais ces conclusions seront bien diffé-rentes si l’instrument avec lequel nous examinons la vie esthétique contemporaine au lieu d’être la chronique est la vaste étude morphologique. Les formes, dont le sens nous paraissait, dans les étroites limites d’une oeuvre d’art particulière, mesquin et insuffisant acquièrent immédiatement une abondance d’idées et une richesse immense, si on veut bien les comparer avec les formes apportées par d’autres oeuvres et si nous arrivons à isoler de l’ensemble certains rythmes, certaines indications générales. Tel tableau cubiste, exposé par tel marchand parisien ou admis dans la collection de tel amateur fameux ne sera, à nos yeux, qu’un objet parfaitement cataloguable, standardisé et, par conséquent, doté de la seule petite valeur que l’on accorde à ce qui n’est autre chose qu’un numéro dans une série. Le Cubisme, par contre, considéré en lui-même, en tant que stylisation commune nous apparaît comme un des phénomènes les plus impor-tants qu’ait eu à enregistrer l’histoire de la culture. Et ce que nous disons des oeuvres, nous pouvons le dire, en des termes à peu près analogues, des hommes. Nous connaissons un peintre dont l’activité expéri-mentale a été la plus profonde, et aussi, la plus brillante qui se puisse imaginer; qui s’est toujours placé, à chaque nouveau tournant de son époque, à la tête de sa génération comme un artiste représen-tatif et comme le théâtre de merveilleuses actions et réactions; qui formait à lui seul un spectacle qui emportait toute notre admiration, qui emportait toute notre âme. Mais peut-être n’existe-t-il pas -3 FIND ART DOC