LE PONT ALEXANDRE ILLUMINÉ. LES FÊTES Les soirées de l’Exposition sont du music-hall, ou du moins un décor de music-hall dans lequel circule une foule dont l’habit jure quelque peu. Elle semble assister à une répéti-tion, en costume de ville. Mais le décor est épique et les éclairages sont à plein feu. A ne regarder que leur miroir de Seine, en ees soirées se jouent une féerie à la Loïe Fuller admirable. De loin, en cheminant le long du quai obscur, hors l’Expo-sition, ne voyant que les reflets de la fête sur les arches du pont, l’on aperçoit la rivière comme une soierie à moires d’or et de pourpre, dont la splendeur liquide est incomparable. Je vous prie de redonner à ce mot usagé toute la vigueur intacte de l’étymologie. Il ne faut point limiter par la com-paraison d’une étoffe ou d’un métal. L’eau y travaille sans cesse de sa trame. Si, d’ailleurs, vous regardez la. Seine du haut des quais clairs de l’Exposition nocturne, toute cette féerie de terre promise, de fleuve insaisissable, vous constaterez qu’elle s’est soudain obscurcie. Et la rivière même est, en son cours central, sombre, triste, nostalgique, évocatrice de naufrages sans éclat et de noyades discrètes. Oui, malgré la double rangée d’illuminations des restau-rants et bateaux. Oui, malgré les cascades et les fontaines lumineuses. Regardez. Sans doute, il y a les cascades déversées du haut du Pont Alexandre-III. C’est un Niagara tiré au cordeau et tendu pour recevoir des arcs-en-ciel étranges. Certains mauves, certains grenats y émeuvent particulièrement l’ceil. Ce rideau d’eau mérite qu’on le traverse. Car certains bateaux le franchissent. On s’y courbe sous la douche qui tombe à grand fracas de couleur s’éparpillant en mille cristaux, ruisselant en pluie de n’importe quelle ondée. L’impression est singulière. Un peu, une attraction-sur-prise comme il y en’ a dans le parc aux attractions. Mais autrement raffinée, et autre chose, en choc avec la féerie. Devant cette suave poussière d’eau nuancée en gamme du prisme, les fontaines lumineuses montent en geysers. Il faut bien dire que ce ne sont point des fontaines lumi-neuses, et que, à mon sentiment, il n’y a guère à comparer avec l’innovation extraordinaire de l’Exposition Universelle de 1889. Ce sont d’énormes bouées-toupies, baleines rondes, qui tirent un feu d’artifice aquatique par des tourniquets d’ar-rosage un peu plus complexes que ceux de nos pelouses des grands parcs publics et privés. A cette fontaine, à l’état de squelette métallique, il manque la parure d’une décoration. Je reconnais qu’elle a perfec-tionné l’art du jet d’eau et qu’il est peu de combinaisons dont elle ne soit génératrice. Mais il manque sinon le dauphin ou l’amour versaillais, du moins une architecture. C’est trop le fer pour le fer. Soudain ces masses noires et flottantes s’éclairent d’une double ceinture de hublots. Un système de projection ro-tative et changeante fait passer des clartés de couleurs dif-férentes qui vont peindre les eaux jaillissantes. Le coloris vient de l’extérieur. Il faudrait une coloration interne. Le jet d’eau devrait monter comme normalement bleu, vert ou rouge, et non en reflet. Non loin, auprès des trois péniches Poiret, quelques menus jets inlassablement verticaux sont absolument 136