Mais dans l’ensemble nos tailleurs, qui sont en progrès, ont actuellement raison contre Londres. Pour sortir du veston cambré, à la mo-de depuis 0904 environ, oses ses varian-tes, les Anglais, ou quelques Anglais, ont inventé de prendre tout bonnement le contrepied. ils sont revenus au veston droit, à ce veston dont tous les plans verticaux étaient rectilignes. En France, le même désir d’innover a produit deux formes nouvelles, dont l’une est exécra-ble, bien qu’elle ait quelque temps égaré même de grands tailleurs, et l’autre en tout point exemplaire, non pas le caprice d’une saison mais le choix au moins d’une décade, à quelques retouches près qu’on ne saurait prévoir si l’on n’est prophète comme un fakir indien. Dans la mauvaise forme, toutes les lignes sont angu-leuses. L’é-paule est en porte-man-teau, le cou-de pointu, le bras long, mince com-me un fil, et le derrière comme les deux poings d’un enfant. La poche gît ou bout du bras, le der-nier bouton presque au ras du bord inférieur. Le pantalon, en pain de sucre ou large quelquefois, comme celui des étudiants d’Oxford (en ce cas, une énorme canne).. Vous avez vu quantité de jeunes gens mis comme cela. Ils avaient l’air de défier leurs aînés: « Faites-en donc autant / n Ils ont presque tous compris qu’ils faisaient fausse route. La bonne forme, elle, est une merveille d’équilibre. L’idée qui dicta le veston à taille n’était pas mauvaise. Elle a rendu aux tailleurs le plus grand ser-vice. Elle leur a rappelé les arcs de notre corps, qu’ils avaient oubliés, d force de tailler des sacs. On n’a pas perdu de vue cette excellente idée, on l’a parfaite. On l’a doublée d’une autre qui n’est pas moins heureuse; celle de la simplicité. Elle nous délivre du maniérisme d’un veston pincé de tous côtés. Et de là, ce chef-d’œuvre: le dos est droit, il tombe d’un seul jet; mais le devant suit l’ondu-lation du torse. Trois boutons, celui du milieu dans le creux de l’estomac. L’épaule est à sa place, ni trop haut ni trop bas, elle est large, elle n’est pas épaisse. La hanche est serrée sans osten-tation. Le pantalon, un peu plus large que l’an dernier, et je le préfère long, qui touche le soulier. Le tout, ample, souple, et commode, svelte, d’une bonne grâce fière. Le bord de ce pantalon est natu-rellement relevé. C’est un signe capital de la révolution dont je parlais. MM. les tailleurs, un beau pantalon est obtenu par la coupe plus que par le fer. Pas tant de mollet. C’est 101 lisse 1830, aujourd’hui superfin. Un mollet trop fort se logera dans la longueur. LE CHAPEAU ET LA CHAUSSURE Il t’arrivera d’oublier ton chapeau. Je dis mal. Il t’arrivera de le laisser. Le soir venu et l’été, aux champs, tu sortiras volontiers sans chapeau. Il n’y a plus qu’un chapeau. Il est en feutre mou. L’été, le canotier, qui est celte année assez haut, avec des bords assez petits. Si tu as le visage un peu rond, tu garderas toujours le bord assez large, en paille épaisse. Le melon est un monstre, aussi affreux que son nom. Quelle horreur ! La digne trouvaille du siècle qui inventa les chauffe-plats à musique. Le haut de forme a été rape-tissé, il est légèrement conique. On l’efface, tu le vois bien, on l’atténue. On le veut le plus discret possible. C’est que le chapeau mou étant le seul qui convienne à nos ‘soeurs, à notre vélocité, d notre carrure, — voilà nos refrains — il se trouve qu’il est plus beau que les autres, plus naturel. Il est aussi Plus varié. Il faudrait que vous fussiez vilain comme les sept péchés capitaux ou malavisé comme un pré-dicant de parc anglais pour être inca-pable de dénicher le feutre qui vous ira. Celui que l’on porte le plus cette année est entre les deux tailles, Il a sa coiffe très légèrement conique. Il a son bord ni grand ni petit, arrondi en général, et que l’on baisse par devant. Vous pou-vez adopter toute autre forme qui vous plaira, pourvu qu’elle soit bonne. Les fabricants qui ont exposé ont tort de chercher des couleurs trop rares, un beige trop clair, quasi blanc, un fauve trop doré, un brun trop rouge, des tons trop faux ou trop vifs. On raffine de la sorte sur un objet lorsque sa vogue tend à diminuer, pour émoustiller la clientèle. Erreur de psychologie. La laveur du chapeau mou étant ce qu’elle. est, sous aurions voulu voir à l’Exposition une grande montre, mais ois les couleurs nor-males domineraient. Dit en passant: vous ne vous croirez pas obligé d’avoir un chapeau d’Angle-terre; il y en a de très bons en France. A l’autre extrémité de la personne, à présent. La chaussure en est au même stade favorable que le veston. Il semble aux gens qui l’aiment belle, ete s’y entendent, que jamais elle ne l’a été davantage. Après avoir tant oscillé entre les bouts trop ronds et les bouts trop pointus, nous en sommes au juste milieu. Je dis cela, et je sais un soulier achevé en demi-cercle et qui est le plus joli du monde, avec sa grosse piqûre très bien trouvée. Le grand secret est dans la dispositiondes pentes, si l’on peut dire, de la chaussure. Nous voulons un sou-lier dont l’aplomb soit parfait. Posé, il faut que la semelle touche entièrement le sol, depuis l’arche du pied jusqu’à la pointe. Sous l’arche, la dite semelle s’amenuise peu, elle garde de l’épaisseur jusqu’au talon, qui lui-même n’est pas mièvre, n’a pas un profil oblique, mais repose, au contraire, franc et décidé. Pourquoi donc la plupart des grands bottiers sont-ils absents du Grand Palais? LE LINGE ET LA PETITE OIE En fait de costume, il y a toujours lieu de distinguer les variations qui engagent l’avenir, les changements que sont acquis et les volontés ou le caprice du jour. La chemise molle, telle est la variation radicale. Comparez deux hommes en léger appa-reil, celui d’à présent, celui d’il y a quatre lustres. Notre contemporain a sa chemise molle, assez étroite, il a son caleçon de joueur de football, sa chaus-sette est tendue par sine jarretelle, elle est comme peinte sur la chair. S’il a évité la bigarrure, si la chemise, si le caleçon ont même couleur et même dessin, si la jarretelle est assortie d tout le resté, et la chaussette avec la cravate, il est agréable aux regards d’Eve. D’ailleurs tout prit à la serrer contre lui, au pre-mier indice, tant il se sent à l’aise. Et l’autre? Il avait son torse enveloppé d’un paquet de toile blanche partout bouil-lonnante et empesée, raidie en ma-nière de carcan. L’idée d’une cassure qui prit gâter son plastron lui était un continuel tourment. Ses deux jambes flottaient dans un falzar dont il fallait que les cordonnets, en les nouant sur la cheville, retinssent tant bien que mal les pauvres chaussettes. Allons ! ce n’était pas de jeu. Si les filles d’Eve aujourd’hui ont cessé de railler les fils d’Aden si les fils d’Adam ont cessé, d peine hors de. page, de trembler devant les filles d’Eve, ce curieux phénomène a certainement un grand nombre de causes. La révolution du costume masculin n’y est pas, je crois, étrangère. Regardez ce gosse et sa bienaimee qui se mesurent du coin de l’oit, comme deux athlètes égaux entre les cordes, et conseillez-lui de n’être pas méchant, conseillez-lui d’être gentil, gracieux, mais aussi, n’oubliez pas de le féliciter pour son calme. La fureur du moment, pour le linge, est le carreau. On en met partout. Dans la vitrine de Seelio, admirez ces beaux dessous aux fines lignes entre-croisées. Le goût en est sobre. Seligmann a une chemise jaune à carreau violet dont le chiffre est sur la manche. Hayon, une 83