LA veille, on avait préparé les valises, fait le plein d’huile et d’essence. Dans le matin encore froid des heures nocturnes, phares allumés, la voiture glisse lentement. Les dernières charrettes des maraîchers, vidées aux halles, vi-brantes dans le silence des avenues, remontent vers les banlieues. Ville endormie, ville morte, le long des quais du Louvre où dorment les beautés du monde antique, le long des grilles du Jardin des Plantes d’où monte parfois le cri aigu de quelque oiseau chasseur d’ombres — vers Saint-Cloud plein d’amours défuntes—vers le Bourget balise aérienne — vers Charenton où ricane un Delacroix de bronze — vers les mastodontes accroupis d’Orly : aux quatre coins cardinaux de la ville, des villes, s’élancent et plongent dans la route vide les véritables amateurs d’espace. L’auto permet, à peu de risques, de tromper notre inquiétude et notre désir d’aventures. C’est entre quatre et sept heures de ces petits matins que l’on goûte véritablement la route, lorsque les voiles de brumes y traînent encore. En-gourdi, le gibier, perdrix ou lapereaux, ne s’éveille qu’au passage de la voiture. Poésie des gares illuminées de feux blancs, rouges, verts que l’on côtoie et dépasse, express silencieux, essoufflement cadencé des locomotives en attente, sifflets perdus dans l’abîme des nuit-. Percer le silence de la course, dans le bruit de soie des pneus. Où serons-nous :■ midi, à six heures ? Toutes nos prévisions seront toujours déjouées, victimes de l’inattendu ou de la poésie. Ces départs au petit jour donnent droit à des repos, à des pauses étonnantes. Petit déjeuner au bord du Loing, de la Haute-Seine, de la Loire, de l’Huisne, où déjà collaborent un café douteux, un petit vin accompagnant un fromage du pays ”. Eau, essence. Le moteur refroidi tourne mieux que jamais. Montée du soleil à travers la campagne regagnée enfin, après les mois d’hivernage en des villes plus inconfortables que des iglous esquimaux, après les dérapages des lamentables voies parisiennes, après la boue giclante et les invectives des chauffeurs. Voici la rose des aurores, les cyprès égéens, les paillettes d’or des genêts celtiques. Voici surtout les illusoires symboles d’une liberté reconquise. Etape de midi. J’affirme que, possesseur des divers guides gastronomiques, j’ai rencontré autant d’auberges satisfaisantes parmi celles qui n’étaient point désignées par des augures fallacieux que parmi celles qui méritent les plus beaux éloges de MM. Louis Forest, Cerf, Millet, Bernheim, Max Dearly, illustres pa r I 0 rellÉ rell∎ 373